DVD, critique. JANACEK : De la maison des morts / From the house of the dead. Young, Castorf (1 dvd Bel Air classiques, 2018). Avant de mourir Janacek (en 1928) nous laisse son opéra inspiré de Dostoievski : De La Maison des morts, créé à Brno, à titre posthume en 1930. L’Opéra de Bavière à Munich a présenté en 2018 la mise en scène de Frank Castorf dont le goût pour les symboles géants et en plastic avait dérouté les bayreutiens, dans sa vision plutôt laide du Ring. Pour illustrer plutôt qu’exprimer la défaite de notre société de consommation, il imagine un lieu perdu, aux marques publicitaires éculées et bien lisibles (ont-elles versé leur financement ?) formant un fatras préfabriqué qui tient du mirador et de l’abri de ZAD… Chéreau avait marqué la mise en scène de l’ouvrage à Aix en 2007, mai dans une tout autre réflexion sur l’ensevelissement progressif des humanités. Castorf semble répéter les tics visuels du Ring de Bayreuth pour les imposer chez Janacek. Même déception pour la fosse dont le son toujours tendu, certes opulent et présent d’un bout à l’autre, est comme poussé ; il semble indiquer dans la direction de Simone Young, l’absence de vision intérieure plus ténue, la perte des nuances. Evidemment, cette pâte orchestrale qui déferle, finit par couvrir les voix, écartant là aussi tout travail filigrané sur le texte. Or la langue est primordiale chez Janacek, lui qui a tant réformé le langage musical à partir de ses propres recherches sur la notion de musique parlée, n’hésitant pas à intégrer dans son écritures les motifs et formules découvertes tout au long d’un vrai travail de collecte ethnomusicologique. Cette notion de précision linguistique et d’intelligibilité musicale produit ce réalisme poétique si particulier chez le compositeur morave. D’autant qu’après Jenufa, Katia Kabanova, La Petite Renarde rusée, L’Affaire Makropoulos… De la Maison des morts s’affirme bien comme le prolongement et l’aboutissement de cette esthétique personnelle et puissante. De ce point de vue, la direction de Simone Young, linéaire, illustrative, en rien trouble ni ambivalente, tombe à plat.
La poésie philosophique de Janacek rappelle combien l’homme est relié et dépendant d’un cycle qui le dépasse et dont il doit respecter l’équilibre des énergies s’il veut survivre. Cette immersion (autobiographique dans le cas de Dostoievski) dans les profondeurs des bagnes développe tout une perspective noire et lugubre, où l’homme perd pied, et se laisse détruire dans la folie, la violence, la haine, une brutalité spécifiquement humaine.
L’Aljeja d’Evgeniya Sotnikova, comme le Morozov d’Ales Briscein sont parfois inaudibles. Mais plus puissants naturellement que leurs partenaires, Bo Skovhus (Siskov) et Charles Workman (Skuratov) tirent leur voix de ce jeu sonore et dilué, car ils sont leurs personnages ; âmes de souffrance, figures d’une humanité au bout du bout. Le premier a déjà passé le gué et est enseveli ; le second, est comme enivré et anesthésié par le dénuement et la misère : pour toute réponse, Workman tisse une vocalité intérieure, pourtant lumineuse dans ce monde des ténèbres. Le chanteur touche juste du début à la fin, dans un numéro d’équilibriste et de funambule heureux, lunaire et finalement dans l’espérance. Rien que pour cette incarnation, le spectacle mérite absolument d’être vu et connu.
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DVD, critique. Leoš JANACEK (1854-1928) : De la maison des morts. MUNICH, Opéra de Bavière, / Nationaltheater. Opéra en 3 actes, livret du compositeur, d’après Dostoïevski. Mise en scène : Frank Castorf. Peter Rose (Alexander Petrovitch Goriantschikov) ; Bo Skovhus (Chichkow) ; Evgeniya Sotnikova (Alieia) ; Aleš Briscein (Filka Morozov) ; Christian Rieger (Le commandant) ; Charles Workman (Skuratov). BAYERISCHES STAATS Orchester / Chorus / Chœur de l’Opéra national de Bavière ; Orchestre National de Bavière ; direction : Simone Young. Enregistré à Munich, printemps 2018. 1 dvd Bel Air classiques. Crédits photographiques : © Wilfried Hösl – Parution : 14 février 2020. PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur BelAir classiques
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