samedi 20 avril 2024

David Greilsammer, piano. Entretien « De la fantaisie et du fantasme… »

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De la fantaisie et du fantasme…

David Greilsammer n’est pas un interprète tout à fait comme les autres. Il a voué un culte à la Fantaisie ou au Fantasme, comme il en rassemble les termes dans son premier disque autour d’œuvres de Bach, Brahms, Schoenberg, Janacek, Ligeti, Keren…Et bien sûr de Mozart, dont il dit qu’il importe de retrouver « la voix intérieure, seul moyen de percer à jour le moi propre, seule alternative pour atteindre à une paix réelle ». En venant pour la 1ère fois au Festival de Verbier, le jeune pianiste américain – d’expression si française – a misé sur une « relecture » des Sonates de Mozart, dont il a proposé l’intégrale en six séances « nocturnes ». Ayant écouté 3 de ses interprétations en concert, nous l’avons rencontré pour un portrait en miroir mozartien et quelques questions-réponses. Le jeune interprète est aussi à l’affiche de la saison Piano à Lyon, le 27 février 2009, salle Molière, temple incontournable des rois (et reines) du clavier…



Pour vous Mozart, ce n’est vraiment pas un musicien comme les autres, et même ce fut la révélation de votre vie musicale ?

Oui, ainsi que je l’ai raconté, parce que cela m’a totalement marqué : vers 5 ou 6 ans, j’ai entendu un jour un disque de mes parents, et cette musique m’a bouleversé « à jamais ». Mozart s’est ainsi inscrit au centre de ma vie, et même à un point de départ. Je considère que j’ai désormais à côté de moi un ange – un messager, au sens étymologique du terme grec, une présence-fantôme, bénéfique évidemment. Rilke a parlé de cette présence-là dans ses Elégies de Duino : « Les anges ne reprennent-ils que ce qui est à eux, ou bien parfois, un peu de notre essence ne se trouve-t-il pas en eux ? ». Le plus extraordinaire, c’est que je ne sais plus exactement quelle était l’œuvre initiale, parmi le sonates: « plus je cherche, et moins je trouve ! », comme dirait Leporello cherchant à s’enfuir au moment su Sextuor dans Don Giovanni ! Mais moi je ne cherche pas à fuir… Cet aspect de scène primordiale – au secours la psychanalyse ! – me trouble et me ravit à la fois.


D’où en tout cas vos expériences d’ « Amadeo assoluto » : à Verbier l’intégrale des Sonates en quelques séances…

Mais j’ai fait mieux à Paris, à l’église des Récollets : de 11h à 22h, l’intégrale, avec seulement quelques pauses !


Vous évitez dans l’intégrale un découpage des séances par œuvres progressant « dans le temps » ?

Oui, je suis quelque peu incroyant-en-chronologie ! Je trouve que la relation de l’homme à l’œuvre comme on disait naguère, est plus complexe, remplie de souterrains, inattendue et contradictoire. Je préfère chercher dans les groupes de sonates des relations entre styles d’écriture, recherches tonales, donc avec des dialogues entre sonates d’époques différentes. Ainsi au concert que vous avez entendu, pour le K.279, cette étrangeté – presque une anomalie dans la structure, un passage lent pour commencer, c’est un processus qu’il ne reprendra plus par la suite, cela témoigne d’une forme de désarroi qu’il veut néanmoins contrôler, intégrer dans le cadre d’une œuvre. Bien sûr, le K.310 est plus tard encore plus ouvertement travaillé par le sentiment tragique, et pourtant les mouvements y sont « dans l’ordre habituel »…

C’est aussi le temps pour Mozart d’une terrible solitude dans Paris : il a 21 ans en terre étrangère, il est délaissé par une opinion qui était s’était entichée de lui parce qu’alors il était venu en enfant-prodige. Et puis sa mère meurt…
C’est vrai, mais en musicologie, on ne pense pas que le K.310 soit lié à cette mort, sauf par angoisse prémonitoire…Une œuvre comme celle-là est plutôt la traduction de l’accès à une maturité plus haute, et le côté noir, presque inquiétant de la partition, s’y affirme en miroir d’une nouvelle capacité d’inscrire ce qui est ressenti – pré-romantiquement, si on veut anticiper – dans un langage nouveau.


Mais peut-être n’ira-t-il jamais aussi loin avec ses Sonates que dans une page isolée comme l’Adagio en si mineur, ce K.540 si étonnant…

Oui, et là on rencontre dans cette œuvre « tardive » et heureusement « fixée »« la partie émergée de l’iceberg », son monde d’improvisation que la distance historique et technologique nous permet seulement d’imaginer en rêvant à ce qui a disparu des mémoires. Tous les témoignages sont d’accord pour affirmer que Mozart était un formidable improvisateur. Et je crois qu’il faut que les interprètes d’aujourd’hui retrouvent un peu de cet esprit, qui est aussi celui du jazz et que j’aime tant, ce qu’on voit seulement à propos des cadences de concertos et des différences d’ornementation notées selon les manuscrits et les éditions : à notre tour, nous devons savoir y prendre des risques. Et parfois comme avec l’Adagio – ou certaines Fantaisies – on a la chance de posséder ce qui a été créé par Mozart dans la nuit au sens littéral et symbolique du terme…C’est d’ailleurs là aussi qu’on mesure les écarts avec la logique de la chronologie : cet Adagio bouleversant, qui « parle de la mort », est écrit « en même temps » que la Plaisanterie Musicale, un vrai portrait-charge du compositeur qui rate son œuvre : et c’est le moment de la mort de son père Léopold, à qui il doit tant de choses contradictoires ! On peut alors se rappeler que quand il était à Paris, neuf ans plus tôt, Léopold lui envoyait des courriers très durs, et qu’il était même allé jusqu’à le culpabiliser pour la mort de la mère, si loin de la famille et de la terre natale !

En travaillant dans le sens d’une investigation interprétative qui remet beaucoup en cause la tradition, vous vous inspirez tout de même de ceux qui vous ont précédé ?

Evidemment, je reconnais ma dette d’inspiration, par exemple vis-à-vis de Daniel Barenboïm ou de Murray Perahia. Mais il n’y pas a de raison que j’aille les suivre aveuglément dans la voie géniale qu’ils ont su tracer. Mon attachement au passé et à toute sa beauté ne me dispense pas de chercher des voies nouvelles. La musique semble être de tous les arts celui qui reste le plus en dépendance de son propre passé, c’est bien suffisant ! Mais ne pensez pas qu’en explorant des voies originales, je veuille «faire l’intéressant » ! Je crois seulement que dans cette immensité que constitue l’œuvre de Mozart, et en particulier dans ses Sonates, il reste encore bien des secrets. Il en va de même pour les idées reçues avec les concertos de piano, ceux de la jeunesse, où on a trop dit que ce n’était « pas encore le grand Mozart ». Mais si, mais si ! D’où le disque tout récemment sorti que j’ai enregistré avec l’Ensemble Suedama, pour les K.175, 238 et 246. Mozart continue de toute façon à me bouleverser, sa musique a une part de modernité stupéfiante, et je cherche des chemins pour aboutir à ce centre un peu mystérieux. Même si je peux parfois me tromper, j’en prends le risque, et j’y trouve de toute façon une grande force intellectuelle et spirituelle.

Propos recueillis par Dominique Dubreuil. Verbier, le 27 juillet 2008.

Illustration: David Greilsammer © Antoine Legrand. Deux autres portraits du pianistes (DR)

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