vendredi 6 décembre 2024

CRITIQUE, théâtre musical. GENEVE, La Cité Bleue, le 27 octobre 2024 : SEASONS. Mariana Flores, Arezki Aït-Hamou, Russell Kadima TK. La Cappella Mediterranea / Fabrice Murgia / Quito Gato.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

La nouvelle structure musicale dont s’est dotée Genève (avec beaucoup de financement privé), La Cité Bleue, voulue et dirigée par le chef argentin Leonardo Garcia Alarcon, est placée au cœur de la Cité universitaire de la cité lémanique. Nous avions annoncé l’inauguration (mars 2024) de ce nouveau lieu culturel dans ces colonnes, dès l’année dernière (au lendemain d’une soirée pré-inaugurale, en novembre 2024), un lieu décidément très actif et “expérimental”, en mettant cette fois à son affiche un nouveau spectacle au carrefour des disciplines, et intitulé « SEASONS« . Ce bain artistique qui jongle avec les esthétiques et les rythmes simultanés prodiguent d’immenses qualités…

 

SEASONS était initialement programmé pour inaugurer la nouvelle salle genevoise. En miroir avec notre époque cataclysmique, l’action mêle trois destins individuels et tragiques ; la serveuse Mariana, victime encore marquée par sa relation amoureuse difficile ; Arezki, livreur, ex-taulard, en resocialisation ; TK, jeune black accro aux mondes virtuels, totalement décalé hors réalité, et rendu aveugle par ses lunettes virtuelles… Chant, musique, jeu scénique, tout fusionne… même si la diversité de ces vies brisées, ou en reconstruction, fait parfois éclater le fil fédérateur.

De fait, les actions se déroulent sans qu’on en comprenne toujours le sens ni la finalité, le spectacle versant ici dans l’éclatement. Justement, le livret nous parle de dernière chance ; dernière chance offerte à tous ceux qui souffrent, coupés des autres ; leur destin tragique les rassemble et le spectacle laisse envisager qu’ils pourraient se sauver les uns avec les autres, en solidarité : casser les solitudes, reconnecter les individus entre eux… avant la ruine annoncée. C’est pourtant l’esprit du « Let’s get it started » de The Black Eyed Peas, qui célèbre sur un mode festif, tout à fait assumé, le salut des fraternités recomposées.

Les trois chanteurs solistes (Mariana Flores, Arezki Aït-Hamou et Russell Kadima TK) réunis sur le plateau sont plus qu’investis : il sont éminemment convaincants. Mariana Flores incarne à ce titre plusieurs identités : Mariana, le personnage de cette action mais aussi la chanteuse “associée” à La Cappella Mediterranea (ici dans un format réduit de 6 musiciens, dirigés du piano par l’italien Jacopo Rafaelle), qui chante un air Barbara Strozzi (“Che si puo fare”) au moment où les auditeurs l’écoutent dans la salle de la Cité Bleue. Les réalités et les temps se mêlent : action de la scène, réalité des interprètes jouant leur partie… Le metteur en scène Fabrice Murgia joue de tous ses registres, y compris entre présent et passé ; la scène du spectacle se déroule dans un décor épuré que l’on découvre être celui qui va brûler en fin d’action. La soprano vedette de La Cappella Mediterranea trouve sa place dans ce spectacle pluriel ; passant avec naturel de l’écran à la scène : le chant est puissant, juste, voluptueux, captivant sur toute la durée. Avec un accent maîtrisé pour la “Lamentation” de Didon (« When i am laid in earth » de Purcell), repris en kabyle par Arezki Aït-Hamou qui incarne l’ex-taulard, le chanteur – révélé par The Voice en 2019 – force l’admiration par l’intensité et la sincérité de son chant comme de son jeu.

 

Pootos © François de Malleissiye

Comme une BO que l’on rembobine rétroactivement, le parcours musical déploie son éclectisme sonore : du Baroque donc (avec Strozzi) jusqu’à Rihanna, sans omettre Bizet, Haendel, Billy Joel, The Beatles et même Abba… auxquels q’ajoutent les superbes musiques « additionnelles » de Quito Gato, l’un des fondateurs de l’ensemble baroque aux côtés de Leonardo Garcia Alarcon.

joués par un quatuor à cordes que complète guitare, percussions et un pianiste, . Mêmes qualités multiples pour Russell Kadima TK, voix aux dons multiples : voix de tête pour le tube haendélien « Lascia ch’io pianga » (extrait de « Rinaldo« ) ou accents plus graves au service de rythmes et couleurs pop, disco, afrobeat… C’est aussi un danseur-acteur dont la gestuelle paraît fragile et précise à la fois, et façonne une vérité humaine qui bouleverse, celle d’un artiste à la confluence, aux visages multiples fusionnés avec maîtrise : une figure aussi juste qu’inclassable.

Tout converge bientôt vers la fin, spectaculaire et catastrophique, comme évacué dans un effondrement général (ou un incendie régénérateur ?… comme à la fin de la Tétralogie wagnérienne…). Il faut bien la main de la fatalité et le couperet du temps pour accomplir le désastre attendu : « Il est trop tard » répète en langue des signes Marianna Flores, comme la sibylle d’un temps à l’agonie. Même destructeur et crépusculaire, le spectacle « Seasons » questionne, stimule, provoque. Sa mise en forme hors des canons classiques, ouvre de nouvelles perspectives théâtrales et musicales qui s’avèrent des plus enthousiasmantes, pour les artistes comme pour le public.

Un spectacle à la fois rare, enchanteur et bouleversant !

 

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CRITIQUE, théâtre musical. GENEVE, La Cité Bleue, le 27 octobre 2024 : SEASONS. Mariana Flores, Arezki Aït-Hamou, Russell Kadima TK. La Cappella Mediterranea / Fabrice Murgia / Quito Gato. Toutes les photos © François de Malleissiye

 

VIDEO : Trailer de « Seasons » à la Cité Bleue de Genève

 

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