lundi 28 avril 2025

CRITIQUE, récital. RENNES, opéra de Rennes, le 4 oct 2024. « Romances d’Empire » : Maïlys de Villoutreys, soprano / Clara Izambert-Jarry, harpe. Romances de Sophie Gail (1775-1819), Antoine Romagnesi (1781-1850), Louis-Emmanuel Jadin (1768-1853), Zoë de La Rue (ca. 1770-1832), Isabella Colbran (1785-1845) …

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La soprano MAÏLYS DE VILLOUTREYS reprend ce soir le programme qu’elle a enregistré sous le label de Château de Versailles Spectacles, offrant un éclairage somptueux et excellemment conçu sur un genre encore peu connu : la romance d’Empire, source vocale à laquelle les Berlioz, Liszt s’abreuveront avec le génie que l’on sait. Avant eux, une compositrice des plus inspirées a marqué l’histoire du genre et même connu une célébrité remarquable aux côtés de ses opéras comiques tels « Les deux jaloux » et donc « La Sérénade » de 1818 (vu et écouté la veille), ouvrage central du cycle que l’Opéra de Rennes dédie à Sophie Gail et qu’il a judicieusement intitulé « femmes compositrices », premier cycle événement de sa nouvelle saison 2024-2025.

 

La cantatrice aborde avec une exigence sobre l’éventail des textes qui sont d’une variété de ton et de climats aussi divers que subtils. La justesse des phrasés, le souci d’exprimer le sous texte, et la couleur souterraine de chaque épisode s’avèrent particulièrement aboutis. Tout en vivant chaque situation, il s’agit aussi d’en exprimer le caractère et la couleur générale. Passer de l’ivresse incarnée [« l’heure du soir » de Sophie Gail] à l’émotion de l’enfant qui pleure au tombeau de sa mère [« Maman ne s’éveille pas » de Romagnesi], puis des plus dramatiques [« quoi tu doutes » de Zoë de La Rue ou « L’espérance n’est qu’un beau songe » d’Isabella Colbran, muse de Rossini] relève de la gageure. Un défi pourtant assumé avec beaucoup de finesse et de sensibilité par la soprano Maïlys de Villoutreys et sa complice la harpiste, Clara Izambert-Jarry.

Comme chauffée par les pièces qui ont précédé, la voix est au plein de sa maîtrise (legato, souffle, expression, intonation…) en particulier dans les 4 dernières romances de Sophie Gail, plus graves qui partagent un dramatisme intense dans la mélodie, complément judicieux et lui aussi épuré, tragique de la mort de Werther du génial Louis-Emmanuel Jardin, fauché trop tôt comme son héros…

Le boléro et son somptueux accompagnement instrumental, dansant, noble, voire grave évoque l’épopée de Sophie Gail en Espagne où elle réussit à vivre de son art ; la coupe, le rythme soulignent encore le tempérament efficace, subtilement dramatique de la compositrice qui préfigure les Delibes ou Bizet à venir. De sorte que l’on comprend dans les faits et comme l’a expliqué la soprano au démarrage, comment la romance est ce chaînon manquant entre l’air de cour baroque et la mélodie romantique. Si le romantisme musical marque l’essor du sentiment [après le règne des passions à l’époque baroque], la romance en est déjà le véhicule le plus accompli. Pas facile de capter l’attention et de relancer le flux dramatique ; pourtant les deux artistes savent contraster et même toucher, en particulier dans le choix des pièces qui évoquent la mort [du chevalier :  « il faut mourir « ],  ajoutant à ce tour de chant très convaincant, une touche fantastique et surnaturelle celle d’un jeune amant, astucieux, déroutant qui singe la mort pour devenir « revenant » et réussit à enlever la femme mariée dont il est épris. Le récit haletant, enlevé est à ce titre saisissant [« Le chanoine de Milan »].

Même la harpe souveraine au cours de ce récital où l’instrumentiste joue en soliste trois épisodes purement instrumentaux [transcriptions et variations d’après Gail et Naderman dont le fameux « plaisir d’amour »] est idéalement mise en avant, sonore, expressive datant de l’époque impériale et de la Restauration soit l’époque où Sophie Gail connaît la célébrité. Clara Izambert-Jarry explique, présente, contextualise chaque pièce ainsi exhumée, pour le bénéfice des spectateurs qui mesurent ainsi combien l’instrument est familier alors dans les salons et les cercles aristocratiques, plus répandus que le pianoforte ; le modèle joué ce soir est pourvu d’une pédale qui permet d’altérer les notes et donc d’élargir encore palette expressive et toutes les nuances d’une répertoire qui s’inscrit dans l’intime et l’émotionnel.
D’ailleurs pour réaliser les dernières romances de Sophie Gail et de Jadin justement (sur le thème de la mort), la harpiste doit accorder différemment l’instrument.

Le volume sonore de l’instrument saisit immédiatement, comme ses qualités de caractérisation. Le jeu souple et articulé de la harpiste en parfaite complicité avec la soprano, éclaire le goût particulier des amateurs prêts à se délecter de chaque nuance et image du texte ainsi commenté et éclairé par la parure musicale ; comparée à ses contemporains, dont Romagnesi, Adam, Naderman, l’intelligence dramatique, le sens de la construction dramatique et la finesse mélodique distinguent Sophie Gail, rendant d’autant plus légitime ce focus réalisé par l’Opéra de Rennes. La finesse est le maître mot de la compositrice qui sait nuancer chaque sentiment amoureux, en particulier le désir, la frustration, la souffrance blessée, la clairvoyance sans espoir…. Autant de dépits justes et assumés qui n’empêchent pas l’élan voire l’extase intime, secrète [« L’heure du soir  déjà citée].

Les deux complices concluent le récital par une chanson de caractère signée Martini avec accent et tics linguistiques locaux qui prêtent à rire car le texte est celui d’un pauvre garçon [probablement de ferme] pris dans les rets de la souffrance amoureuse [que lui inflige Pérette : « Oh les filles, c’est toujours changeuses / c’est ça qui cause mon chagrin« ]. Entre naïveté et sincérité, dépit et désespoir, la romance pittoresque explore surtout sur le plan vocal des intervalles aussi acrobatiques que dramatiques et expressionnistes. Entre la tragédie et le comique. Conclusion très originale pour un récital des plus captivants.

 

Toutes les photos © classiquenews 2024

 

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CRITIQUE, récital. Opéra de Rennes, le 4 oct 2024. « Romances d’Empire » : Maïlys de Villoutreys, soprano / Clara Izambert-Jarry, harpe. Romances signées :
Sophie Gail (1775-1819)
Antoine Romagnesi (1781-1850)
Jean-Louis Adam (1758-1848)
Zoë de La Rue (ca. 1770-1832)
Isabella Colbran (1785-1845)
François-Joseph Naderman (1781-1835)
Louis-Emmanuel Jadin (1768-1853)

 

LIRE aussi notre critique de l’opéra « La Sérénade » de Sophie Gail, vu et écouté la veille à l’Opéra de Renne, le 3 oct 2024 : https://www.classiquenews.com/critique-opera-rennes-opera-le-3-oct-2024-sophie-gail-la-serenade-thomas-dolie-orchestre-national-de-bretagne-jean-lacornerie/

CRITIQUE, opéra. RENNES, Opéra, le 3 oct 2024. Sophie GAIL : La Sérénade. Thomas Dolié, Elodie Kimmel, Pierre Derhet, Julie Mossay… Orchestre National de Bretagne, Jean Lacornerie (direction).

 

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