Après avoir conquis la planète entière par sa performance “métallo-classique” lors de la Cérémonie d’Ouverture des JO de Paris en juillet dernier, c’est dans son (plus si) “nouveau” répertoire de la musique baroque (après être passé par la musique “Métal” dans sa prime jeunesse…) que Marina Viotti se produit dans la somptueuse “Salle des Croisades” du Château de Versailles. Le programme est essentiellement tourné vers Antonio Vivaldi, mais pas que, avec quelques incursions vers Porpora et le plus obscur Giovanni Porta. Entrecoupant les différents airs, pour permettre à la chanteuse de laisser reposer un peu la voix, les inévitables Ouvertures et Concerti (Le fameux Concerto “Grosso Mogul” du Prêtre roux, le “Largo » du Premier Concerto Grosso de Locatelli…), confiés aux soins de l’excellent Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, placé ce soir sous la baguette du chef franco-argentin Andrès Gabetta.
Et c’est par la rareté que constitue le Motet “Volate gentes” de Giovanni Porta (1675-1755) que débute la soirée (après une exécution virevoltante de l’Intermède “The curtain tune” extrait de Timon of Athen de Henry Purcell, en guise de tour de chauffe orchestral). Arrivant dans une tenue plutôt masculine (“chico-décontractée”) pendant un fondu-enchaîné de la claveciniste Chloé de Guillebon (sur presque tous les fronts, après le bouillonnant chef-violoniste), elle fait d’emblée montre de toute sa maestria vocale et virtuosité technique, lui permettant de déployer ce timbre pulpeux, charnu et mordoré à la fois, qui est désormais immédiatement identifiable (à l’oreille des mélomanes en tout cas). Elle poursuit avec le très introspectif “Salve Regina” de Nicola Porpora. Ce napolitain s’est surtout fait connaître pour ses opéras serie et ses talents de pédagogue, mais il est également auteur de plusieurs motets et messes, dont ce Salve Regina en ré mineur composé en 1725, époque où il s’installe à Venise. Cette pièce, qui se décompose en six phases tour à tour lentes et rapides, porte la marque de nombreuses compositions italiennes de l’époque, qu’il s’agisse d’œuvres strictement religieuses. Accompagnée avec douceur et intériorité par Andrès Gabetta, Viotti fait montre d’une très grande souplesse dans les lignes mélodiques et d’une non moindre intensité dans la déclamation, accentuant ainsi le caractère implorant de cette courte pièce dédiée à la Vierge Marie.
Donné sans entracte, alors que des micros sont installés un peu partout pour une captation “live” en vue d’un futur disque qui paraîtra chez l’indispensable label “Château de Versailles Spectacles” l’an prochain, la deuxième moitié du concert fait la part belle à Vivaldi, à travers deux très beaux Motets (“Ascende Laeta”, et “Canta in Prato, ride in monte”), mais surtout son (sublime) Oratorio “Juditha Trumphans”, dont l’artiste interprète deux airs, un “lent” et un “vif” : le doux (mais néanmoins très “vocalisant”) “O servi volate”, puis le trépidant “Armatea Face et angibus”. Dans ce dernier air, la voix se fait véhémente et conquérante, en faisant fi de toutes les pyrotechnies acrobatiques dont il est hérissé, soutenue par un orchestre aux trépidations typiquement “vivaldiennes”, tout démontrant une pureté désarmante dans les aigus… et en invitant le public à la soutenir rageusement dans les “Furiae / furiae / furiae !” qui en constitue le climax, pour un effet collectif saisissant ! Grisé, le public lui fait un triomphe mérité, une partie se levant pour une “standing ovation”, et c’est par trois bis qu’elle le remercie : la virevoltante « Danse des Sauvages » tiré des Indes Galantes de Rameau, puis l’exaltant « Dopo Notte » extrait d’Ariodante de Haendel, avant une reprise d’ « Armatae face et anguibus », avec une chanteuse qui en a encore “sous le pied” – et pour lequel le public se prête à nouveau au jeu… en martelant furieusement le triple « Furiae !”…
Et maintenant… vivement l’album !
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CRITIQUE, concert lyrique. VERSAILLES, Salle des Croisades, le 4 novembre 2024. PORTA / PORPORA / VIVALDI…. Marina VIOTTI (mezzo), Orchestre de l’Opéra Royal, Andrès GABETTA (direction). Toutes les photos © Michael Montanaro
VIDEO : Marina Viotti interprète l’air « Armatae Face » extrait de « Juditha Triumphans » de Vivaldi (avec Le Concert de la Loge)