S’agissant des Forqueray – Antoine (1671 – 1744) et Jean-Baptiste (1699 – 1782) -, la gambiste Myriam Rignol signe ici une intégrale de référence ; la réalisation est d’autant plus méritante et significative que la préparation et tout le cheminement préalable, mental, esthétique, technique pour ce faire, fut accompagné par un travail progressif de réflexion afin d’apprivoiser le langage musical, surtout la richesse d’une écriture qui dans sa texture dense paraissait tout d’abord « prétentieuse », « d’esbroufe », « tape à l’oeil », et « noire » (de notations et d’indications autographes, brouillant le contact avec sa cohérence voire sa limpidité originelle).
Tout le travail fut, a contrario d’a-priori infondés, de s’immerger dans le creuset de la musique, revoir les doigtés, les choisir selon sa propre logique et dans le confort retrouvé d’une agilité naturelle, révéler la puissance d’une écriture à la fois foisonnante et poétique ; le résultat est là ; dans ce travail d’appropriation progressive de l’écriture, Myriam Rignol semble avoir capter ce naturel des phrasés, cette éloquence souvent hypnotique, ce balancement infiniment nostalgique d’une écriture parmi les plus profondes jamais écrites, s’agissant des Forqueray, père et fils, Antoine et Jean-Baptiste, l’un sachant reprendre l’écriture de l’autre pour en parfaire encore davantage la sincérité. En filiation avec les Forqueray et dans l’intimité ténue de la pratique familiale, la gambiste s’associe avec son frère Gabriel (théorbe et guitare baroque) et joue avec ses confrères Mathilde Vialle, Pau Marcos dans une entente qui est compréhension et respect partagé. Sans omettre le subtil clavecin d’un complice tout en panache et raffinement introspectif, l’excellent Julien Wolf (avec lequel Myriam Rignol compose le trio Les Timbres).
Outre la volubilité saisissante d’une écriture qui semble percer le mystère de la psychologie dans ses multiples séquences dédiées, ou « portraits » musicaux (La Régente, La Mandoline, La Rameau…), les quatre instrumentistes sont d’une infinie finesse accordée dans entre autres la Portugaise des deux Forqueray (nostalgie dansante et noble), dans La Couperin qui suit, et plus encore dans les 6 pièces qui forment la IVè Suite en sol mineur : belle langueur de la Sarabande « La D’aubonne », aux teintes moirées et sombres… dans la légèreté presque facétieuse et elle aussi dansante de « La Bournonville », sans omettre l’hypnotique « Carillon de Passy », joué droit, badin et d’une grâce envoûtante…
On ne saurait imaginer IIè et IIIè Suites plus contrastées, vives, d’un entrain irrésistible, caractérisé et rond à la fois : rusticité de « La Bouron » ; balancement subtil de « La Dubreuil » ; vivacité toute en nuances ciselées de « La Leclair » où la viole principale chante dans un bel canto d’une finesse magicienne…
Le corpus souligne l’inventivité et le raffinement, les couleurs poétiques et la densité harmonique des pièces (les 5 Suites surtout) ; au père et au fils indistinctement, puisque seul le nom souvent parait sur les manuscrits, sans précision du prénom, Antoine et Jean-Baptiste, se joint aussi le neveu, les airs à chanter spécifiquement du plein XVIIIè de Nicolas-Gilles (dont entre autres, le rondeau musette : « N’espère plus jeune Lisette », 1719).
Les interprètes poussent le luxe de varier les instrumentations, selon les pièces et leur caractère : clavecin solo, viole seule accompagnée, duo de deux violes (« esgales »), trio de deux violes et clavecin obligé d’après le dispositif des pièces de clavecin en concerts… Quant au choix des reprises pour tel ou tel morceau, il a été dépendant d’une contrainte : proposer cette intégrale sur 2 cd. L’aplomb et le tempérament des instrumentistes sont confortés encore par le choix des instruments requis pour cet enregistrement, soit 4 superbes spécimens réalisés par le facteur Tilman Muthesius : 2 basses de violes à 7 cordes d’après Michel Collichon (1683), réalisées en 1991 et 2022 ; 1 dessus de viole d’après le même Collichon, et 1 basse à 8 cordes d’après Benoît Fleury. Même le clavecin est remarquable d’après Henri Hemsch. Incontournable.
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CRITIQUE CD événement. Les FORQUERAY : intégrale des pièces de viole (Lucile Boulanger, Myriam Rignol, Pau Marcos Vicens, Gabriel Rignol, Mathilde Vialle, Julien Wolfs) 2 cd CVS Château de Versailles Spectacles – Collection : La Chambre des Rois n°12 – enregistré en fév 2023 en Belgique – CLIC de CLASSIQUENEWS Hiver 2024
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