Le plafond du Théâtre du Châtelet porte entre frises historiées des cartouches qui rappellent les genres qui ont fait sa gloire. Parmi les disciplines on peut lire « Féerie« . Et c’est bien de cela dont il s’agit dans cette production de L’Amour vainqueur d’Olivier Py, une féerie doublée d’opérette/cabaret. Si les genres naguère qualifiés de « légers » ont désormais retrouvé leur place méritée au sein des institutions lyriques, la féerie manquait un peu dans les programmations.
Créé en 2019 au Festival d’Avignon, et inspiré d’un conte des Frères Grimm, L’Amour vainqueur semble résonner par sa thématique dans une époque livrée aux excès en tous genres. Pour celles et ceux qui pensent, en méconnaissance des genres théâtraux, que L’Amour vainqueur est une opérette ou une comédie musicale, elles/ils se trompent, cette belle production est un exemple type de féérie musicale du XXIème siècle. La “féérie” se caractérise par l’emploi très libre du merveilleux et souvent portant sur des contes et des histoires romanesques. C’est le cas ici d’une fable aussi simple qu’intense et prompte au débordement d’un merveilleux très contemporain. Si le livret est assez faible, avec des rimes faciles ou certaines musiques conçues en glosant Michel Legrand, Barbara ou Florimond Hervé, le tout est un exemple fantastique de ce que le genre abandonné de la féérie peut encore susciter à notre époque. L’abandon vraisemblable de toute logique et de toute complication n’est pas une maladresse mais contribue à un voyage sensible dans la simplicité des émotions. Olivier Py réussit – par son texte, sa musique et sa mise en scène – à succéder à Charles Nodier, Victor Hugo et d’autres grands poètes et dramaturges pour nous émerveiller comme jadis dans les salles des boulevards parisiens du XIXème siècle.
Or, pour bâtir une production aussi ambitieuse et rendre au merveilleux sa place sur la scène du Théâtre du Châtelet, il fallait une équipe aguerrie et de grande qualité. Dans le rôle guignolesque du Général, sorte de général Boum doublé de Voldemort, Antoni Sykopoulos a été vocalement fantastique, mais a fait preuve régulièrement d’hystérie dans le jeu, avec des éclats de voix à outrance. La Princesse-violoncelliste est Clémentine Bourgoin, et si le jeu semble assez juste tandis que ses qualités d’instrumentiste sont certaines, vocalement la voix est fragile et peu puissante. Pierre Lebon dans les rôles du Prince et de la Fille de vaisselle est formidable. Dans son rôle dramatique du Prince, il est une sorte de Segismundo caldéronien, d’une candeur digne du récit des Grimm. En revanche, dans le rôle de la Fille de vaisselle, il rappelle les meilleures heures de la Commedia dell’arte. C’est un talent formidable à suivre absolument ! A son habitude, Flannan Obé est un artiste complet de music-hall. Cependant il serait temps qu’il cesse d’être sa propre caricature pour incarner l’essence des rôles qu’on lui confie, il en a l’énergie et les qualités.
A la fin heureuse de cette nouvelle féérie, le sentiment d’avoir traversé les âges et être encore ému ne s’estompe pas. A l’image du Lac des cygnes, autre féérie chorégraphique, cet Amour vainqueur n’a pas simplement triomphé du chaos et du sang, mais a également réussi à faire renaître une part d’enfance en nous dans l’éternel émerveillement du spectacle vivant.
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CRITIQUE, opérette-féérie. PARIS, Théâtre du Châtelet, le 12 juin 2024. O. PY : L’Amour vainqueur. A. Sykopoulos, P. Lebon, C. Bourgoin, F. Obé / Olivier Py. Photos (c) Thomas Amouroux.
VIDEO : Olivier Py présente:explique « son » Amour Vainqueur