Avant de faire les beaux soirs des Arènes de Vérone l’été prochain, la production de Nabucco de Verdi imaginée par l’homme de théâtre et philosophe Stefano Poda fait actuellement ceux du Théâtre du Capitole (après Lausanne en juin dernier), pour une spectaculaire ouverture de saison. A son habitude, l’italien signe également les décors, les costumes, les lumières et les chorégraphies de ses spectacles, (avec l’aide de son fidèle assistant, Paolo Giani Cei).
Crédit photographique © Mirco Magliocca
Comme il en a désormais l’habitude, la « touche » Poda se reconnaît facilement, avec une production visuellement toujours aussi spectaculaire (à l’instar de son Faust liégeois en 2019), et toujours aussi esthétique, voire esthétisant, un régal de tous les instants pour les yeux. Une production abstraite et intemporelle aussi, qui joue beaucoup sur les symboles. Le metteur en scène met en exergue, et à l’envi, l’opposition entre Hébreux et Babyloniens, qu’il traduit dans les couleurs des costumes (blancs pour les premiers, rouges pour les seconds) mais aussi des immenses parois à l’intérieur desquelles se joue l’intrigue, les blanches montant dans les cintres pour laisser descendre les rouges. Au début du spectacle, un immense pendule de Foucault va et vient au-dessus de la scène, puis ce sera le tour d’une immense mappemonde de faire son apparition depuis les cintres. On verra également descendre un gigantesque cylindre transparent qui va d’abord encercler les Hébreux, puis Nabucco. Mais l’aspect visuel du spectacle, malgré ses 17 danseurs ici omniprésents et qui accaparent l’action, réduit à la portion congrue la direction d’acteurs des protagonistes. Ainsi, rien ne vient distinguer le Nabucco du début de l’ouvrage, tyran assoiffé de pouvoir et imbu de sa personne, de celui de la seconde partie, fragile et émouvant, au repentir sincère…
Dans le rôle-titre, le baryton albanais Gëzim Myshketa rallie tous les suffrages. On admire une fois de plus son prodigieux phrasé, mais aussi le bel éclat du timbre, à l’aise dans les hauteurs de la tessiture, ainsi que la force de conviction de l’interprète qui capte la lumière, immanquablement, et en toute situation. Le redoutable rôle d’Abigaille est confié à la soprano Yolanda Auyanet (en double distribution avec Catherine Hunold). On sait dès lors que la diva espagnole possède assurément la stature de ce personnage hors-norme, impressionnante furie au regard halluciné. Elle en assume aussi l’incroyable ambitus, du grave, appuyé très haut, à l’aigu, dardé avec la précision d’un laser, et cependant capable d’impalpables suspensions. La basse française Nicolas Courjal incarne un Zaccaria à la technique et au style irréprochables, avec la voix profonde et sonore qu’on lui connaît. La Fenena d’Elena Sherazadishvili convainc aisément dans ses quelques interventions (faisant notamment de son air « Oh, dischiuso è il firmamento » un des plus beaux moments d’émotion de la soirée), tandis que le ténor niçois Jean-François Borras séduit grandement, grâce à un superbe timbre de juvénilité et une expression toujours nuancée. Rien à redire sur les comprimari très bien choisis, à commencer par l’Abdallo d’Emmanuel Hasler.
En fosse, le chef italien Giacomo Sagripanti ne se contente pas de battre la mesure et d’accuser le profil martial de la partition. Il obtient de la phalange toulousaine (entendue la veille dans une fastueuse Deuxième Symphonie de Mahler dirigée par Tarmo Peltokoski dans la voisine Halle aux Grains) des couleurs, une dynamique, une souplesse qui donnent un sens au discours verdien. Le chœur, surtout, est chaleureux, nuancé quand il le faut. Moment évidemment très attendu, le sublime « Va pensiero » est abordé pianissimo, pour ensuite s’envoler tout en gardant un bel élan.
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CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre du Capitole (du 24 sept au 6 oct 2024). VERDI : Nabucco. G. Myshketa, Y. Auyanet, J. F. Borras, N. Courjal… Stefano Poda / Giacomo Sagripanti. Photos © Mirco Magliocca.
VIDEO : Christophe Ghristi présente « Nabucco » de Verdi au Théâtre du Capitole