samedi 7 décembre 2024

CRITIQUE, opéra. ROUEN, Théâtre des Arts, le 18 juin 2024. WAGNER : Tristan und Isolde. D. Johansson, C. Filipcic, S. Cooke, N. Elsberg… Philippe Grandrieux / Ben Glassberg.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Poursuivant son travail innovant et radical depuis qu’il est à la tête de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie, Loïc Lachenal a proposé (en collaboration avec l’Opéra Ballet des Flandres, et son homologue Jan Vandenhouwe) au cinéaste français Philippe Grandrieux de mettre en images, pour sa première mise en scène d’opéra, le sublime titre lyrique qu’est Tristan und Isolde de Richard Wagner (notre opéra préféré !). Le réalisateur de « Sombre » et « Malgré la nuit » en propose une vision fascinante et hypnotique, qui repose sur l’emploi intensif d’images vidéo, à l’instar du travail de Bill Viola / Peter Sellars dans la désormais mythique production de l’Opéra de Paris, donnée pour la première fois en 2005. Il reprend l’idée d’une expérience immersive pour les spectateurs, d’autant plus totale ici qu’il a souhaité supprimer le sur-titrage afin que rien ne vienne capter leur attention, hors de ces mêmes images vidéo, projetées sur une tulle séparant la salle de la scène, alors que les chanteurs n’apparaissent que de manière fantomatique derrière, le plateau étant plongé dans une quasi totale pénombre, sans le moindre élément de scénographie visible. 

 

 

Chaque acte portait un sous-titre à Anvers (ville, qui a eu la primeur…) : la « Rage » pour le I, la « Luxure » pour le II, et la « Tristesse » pour le III, mais à Rouen ils ont été supprimés… Une actrice (contre trois différentes à Anvers…) incarne à l’écran ces trois états d’âme d’Isolde, et expose son visage et surtout son anatomie, jusque dans ses aspects les plus intimes, scrutés et fouillés pendant de longs mois par les caméras de Grandrieux. Des images qui se superposent parfois, souvent convulsives et syncopées, mais d’une troublante beauté visuelle. À ces images de corps de femme nue se rajoutent des visuels plus végétaux ou marins, pendant les deuxième et troisième actes, d’une fascinante beauté également, les éléments naturels faisant écho aux soubresauts des corps. Coup d’essai, coup de maître pour un spectacle que nous qualifierons de magistral, mais qui n’a pas été visiblement vécu de la même manière par un public rouennais de plus en plus clairsemé après chaque entracte…

Étoile montante des sopranos dramatiques wagnériennes, la soprano argentine Carla Filipcic s’inscrit d’emblée dans la grande tradition des chanteuses qui ont marqué le rôle durant les dernières décennies. Ses atouts sont considérables : richesse du timbre, flexibilité de la ligne, endurance à toute épreuve, sans oublier une puissance vocale impressionnante. Bref, elle passe la rampe avec une aisance sidérante : après les orgies sonores de ses éclats au I et les longs mélismes sensuels du duo du II, elle parvient dans un état de fraîcheur inhabituel à la “Mort d’Isolde”, qu’elle caresse d’une voix souple, se fondant finalement dans l’orchestre pour y sombrer dans une pure extase. Grandiose ! Face à elle, le ténor suédois Daniel Johansson ne démérite absolument pas. Tout au long de la fameuse scène d’agonie, sa vaillance est de celle qu’on n’expérimente pas souvent au théâtre. Les registres magnifiquement soudés lui permettent de parcourir toute la gamme des émotions, sans esquiver aucune des difficultés de ce rôle meurtrier, et sans le moindre signe de surmenage… Un grand bravo à lui aussi ! De son côté, la superbe basse danoise Nicolai Elsberg campe un Roi Marke exceptionnel, encore plus humain et émouvant qu’à l’ordinaire. La mezzo étasunienne Sascha Cooke est une superlative Brangäne, avec ce qu’il faut de velours dans le timbre et de souffle, pour rendre pleinement justice à son personnage… Enfin, son compatriote Cody Quattlebaum est sur tous les plans un Kurwenal sensationnel, tandis que les seconds rôles n’appellent aucun reproche.

 

 

Dernier triomphateur de la soirée, le chef britannique Ben Glassberg, directeur musical de la maison normande, qui donne le meilleur de lui-même à la tête d’une phalange de bout en bout admirable de cohésion et de clarté, avec des sonorités magnifiques. Tour à tour dramatique et nuancé, avec un rare souci du détail instrumental, Glassberg ménage un rapport parfait entre les voix et un orchestre somptueux mais jamais envahissant.

Une soirée que l’on n’est pas près d’oublier… et auquel le (petit) tiers de spectateurs ayant “tenu” jusqu’au bout des 5 heures de ce magistral spectacle a fait un triomphe debout !

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CRITIQUE, opéra. ROUEN, Théâtre des Arts, le 18 juin 2024.WAGNER : Tristan und Isolde. D. Johansson, C. Filipcic, S. Cooke, N. Elsberg… Philippe Grandrieux / Ben Glassberg.

 

VIDEO : Teaser de « Tristan und Isolde » selon Philippe Grandrieux 

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