vendredi 6 décembre 2024

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre de l’Opprimé, le 8 nov 2024. Stéphane LEACH / Babouillec : Le métronome de nos errances (création mondiale)

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Osons un parallèle audacieux de prime abord en soulignant ce qui est au cœur de l’ouvrage ainsi créé, et qui fait penser au livret du Pelléas de Debussy : son livret dont l’activité, préalablement à la musique, produit son propre chant. L’écriture poétique rattache le présent ouvrage à une longue généalogie d’opéras qui découlent premièrement d’un texte, puissant levier inspirateur : la langue du livret, à la fois onirique et énigmatique, aux formules savoureuses et alliances jubilantes produit comme c’est le cas de l’opéra de Debussy d’après Maeterlinck, tout du long, une manière de fascination et d’hypnose linguistique que la musique caresse, enveloppe, exalte dans le sens d’un délire poétique.

 

La source linguistique se fait invitation constante à l’émerveillement proprement enfantin ; elle fait constamment appel chez le spectateur, à l’imagination la plus infinie, et sous le prétexte symbolique des équations littérales, invite à interroger le sens même des situations, et au-delà, la quête essentielle d’une confrontation entre des individus aux profils préalablement différents voire opposés. Qui est l’autre ? Que dit-il ? Que m’apporte-t-il ? En quoi peut-il redéfinir la place qui m’est spécifique ? Et l’identité qui est mienne ?
Ce jeu des egos qui se frottent et se polissent font écho à la pensée critique de l’auteure du livret, « Babouillec » (Hélène Nicolas), qui fut à 14 ans, diagnostiquée « autiste déficitaire ». Et puis en 2005, à 20 ans, Babouillec démontre qu’elle sait lire et écrire grâce à un outil créé par sa propre mère… son inspiration produit ce texte flamboyant, lyrique, choral.
Tout l’enjeu du texte et sa progression scénique est le dévoilement d’une entente progressive, un pacte fonctionnel qui se cristallise peu à peu, en particulier dans sa relation évolutive avec la rectitude proclamée, déclarative du personnage d’ INDIFFÉRENCE [ses rappels constants à la règle, à la loi de la mesure signifiées par le dogme du métronome] ; puis peu à peu sa rigidité s’adoucit et prenant conscience des autres dans la place [précisément les deux autres personnages allégorique, souvent complices : CERTITUDE RIEUSE et DOUTE ONIRIQUE], la statut s’humanise, au point d’accepter de faire corps avec les autres, et prenant appui sur la quatuor désormais unifié (avec le 4ème pilier, « CHOEUR »), accepte de passer à une nouvelle étape de ce corps social ré-humanisé.

 

Les quatre protagonistes du Métronome de nos errances : Certitude rieuse, Indifférence, Chœur (au 2è rang, à l’arrière), Doute onirique © Stéphane Schurck / Amélie Tatti (soprano), Rayanne Dupuis (mezzo), Léo McKenna (baryton-basse), Xavier Flabat (ténor).

 

 

Dommage que le dispositif technique n’ait pas intégré le surtitrage du texte qui méritait absolument d’être mieux lisible pour la compréhension continue, des personnalités comme des situations. Reste que la tapisserie sonore permanente du texte produit cette musique verbale propre, véritable chant dans ses rythmes spécifiques, que la musique allusive du compositeur Stéphane Leach relance, ponctue, revêt, accompagne idéalement.
L’instrumentation est d’un chambrisme réservé et particulièrement ciselé, associant piano et accordéon,- le compositeur lui-même étant au piano et indiquant  départs comme fins aux musiciens, avec comme point d’orgue, sa performance finale à l’harmonica de verre dont les résonances enivrantes plongent dans le mystère et l’onirisme du rêve, tout en élargissant les champs sonores au moment où le quatuor unifié prend son envol.

La trajectoire de l’opéra croise 3 personnalités conçues comme des allégorie d’humeur et de tempéraments bien distincts : les déjà cités, DOUTE ONIRIQUE, CERTITUDE RIEUSE, INDIFFÉRENCE… qu’accompagne en scribe thuriféraire, un 4ème larron, CHŒUR [la voix de basse]. Ce dernier néanmoins monte très haut et souvent, accompagne comme un ange thuriféraire, et un guide souvent paternel, chaque individualité qu’il encourage …

La musique ponctue et jalonne le cheminement dramatique, conçu comme un rituel dont on suit chaque séquence comme une avancée dans un purgatoire où sont abolies toutes référence de lieu et de temps. La question de l’être individuel et son identité comme sa place dans le monde et par rapport aux autres, y inspire des tableaux de pur onirisme ; tout passe par la jubilation naturellement chantante du verbe, ces images délirantes et souvent enivrées ; qu’incarne et qu’éprouve chacun selon son tempérament, les 4 protagonistes : CERTITUDE RIEUSE [soprano colorature], DOUTE ONIRIQUE [ténor héroïque], INDIFFÉRENCE [mezzo-soprano], CHŒUR étant comme nous l’avons dit à part ; sa partie est conçue comme une présence complice, un observateur et un guide qui souligne le sens du texte et parfois délivre la clé de ce qui est en jeu. Dans cette arène où se construisent les individualités, tous les chanteurs sont engagés, soucieux de caractériser leur personnage.

 

Purgatoire onirique
Et vibrations poétiques

 

Le quatuor : Chœur et Doute onirique (haut), Certitude rieuse et Indifférence (bas) © Stéphane Schurck

 

La partition est expressive, rythmée [le métronome régulièrement audible] magnifiquement diverse et caractérisée selon le/s soliste/s en action. Au delà de l’errance active qui fait vibrer chaque personnage, s’inscrit aussi le sens même de la forme opéra : gardienne jalouse et inflexible de la mesure et de son instrument, INDIFFÉRENCE symbolise la règle immuable du tempo ; mais à force de métrique trop régulière et strictement respectée, n’y a t il pas risque de sécheresse voire de vide mécanique ? De fait le chant et la musique, sans respiration ni rythme organique, s’enlisent dans l’ennui et la mort.. il est essentiel de mettre de l’humain et ce supplément d’âme pour s’accorder aux autres comme pour l’auteur démiurge et l’interprète, de faire œuvre et de toucher l’autre, le public. Ainsi s’accomplit une partition riche et subtile où le compositeur autant que l’auteure ont tant de thèmes à transmettre.

 

Le compositeur au piano, avec David Venitucci, accordéon et Léo McKenna (Chœur) © Stéphane Schurck

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre de l’Opprimé, le 8 nov 2024. Stéphane LEACH / Babouillec : Le Métronome de nos errances(création mondiale). Rayanne Dupuis (Indifférence), Xavier Flabat (Doute onirique), Amélie Tatti (Certitude Rieuse), Léo McKenna (Chœur) – David Venitucci, accordéon. Stéphane Leach, claviers, harmonica de verre. Livret : Babouillec – Dramaturgie, Eugène Fresnel – Mise en scène, Karine Laleu. Photos © Stéphane Schurck

 

 

LIRE aussi notre présentation / annonce de l’opéra LE MÉTRONOME DE NOS ERRANCES : https://www.classiquenews.com/paris-theatre-de-lopprime-le-metronome-de-nos-errances-6-9-nov-2024-babouillec-stephane-leach-compagnie-artom-karine-laleu/

 

PARIS, Théâtre de l’Opprimé. Le Métronome de nos errances, 6 > 9 nov 2024 (création). Babouillec, Stéphane Leach, Compagnie ArtOm, Karine Laleu…

 

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