samedi 26 avril 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre de l’Athénée, le 15 novembre 2024. MOZART : Don Giovanni. T. Varon, M. Croux, M. Poguet, A. Fournaison, A. Zamora, N. Tavernier… Jean-Yves Ruf / Le Concert de la Loge / Julien Chauvin (direction)

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Dans la comédie musicale Le Fantôme de l’opéra d’Andrew Lloyd Webber, le terrifiant et spectral Erik impose à la direction de l’Opéra de Paris, atterrée, la création de son opéra. Une sorte de spin-off de Mozart quasi atonal : Don Juan Triumphans dont le duo embrasera les planches de sensualité mais révélera encore un crime du monstrueux hôte des souterrains du Palais Garnier. Déjà ce manuscrit était l’œuvre maîtresse du Fantôme éponyme de Gaston Leroux, peut-être y cherchait-il la séduction instantanée que la nature lui refusa. Don Juan Triomphant semble être la fable amorale du séducteur, un burin aux passions déchaînées conçu par un être en souffrance face au mépris général et dévoré par ses complexes.

 

« Past the point of no return, the final threshold. The bridge is crossed so stand and watch it burn » (Andrew Lloyd Webber – The Phantom of the opera)

 

Don Giovanni de Da Ponte/Mozart est aussi une fable à la morale galvaudée malgré la damnation finale issue directement de la pièce de Tirso de Molina, El burlador de Sevilla. Oeuvre d’une modernité glaçante et diamant de jais de la célèbre Trilogie conçue avec Da Ponte, Don Giovanni peut passer pour une critique du séducteur fanfaron et cynique. Cependant la réalité semble apparaître à travers les faux semblants de quelques « maschere galanti« . Ce postulat semble motiver la mise en scène de Jean-Yves Ruf dans cette très belle production de la compagnie ARCAL, dirigée par Catherine Kollen.

Le dispositif en tréteaux surplombe l’orchestre sur le plateau qui est une des signatures du metteur en scène. Certains procédés dramatiques sont assez classiques. On ne lui reprochera pas cet académisme longtemps puisque sa direction d’acteurs est brillante. Alors que l’on connaît ad nauseam cet opéra, Jean-Yves Ruf le métamorphose et sait envelopper les solistes de toute la sincérité brutale du livret de Lorenzo da Ponte. Les personnages sortent de leur caricature pour devenir totalement humains. Paradoxalement c’est Don Giovanni qui tombe parfois dans l’approximatif. Or, Don Giovanni, dans la conception de M. Ruf, est le révélateur des hypocrisies des autres. Les vertus des uns, portées en bandoulière, ne sont que les atours des pires défauts. Ici Donna Anna est une fausse prude à la tartufferie manifeste. Don Ottavio est un être tourmenté, un véritable romantique, sincère mais complexe. Elvira porte les stigmates de la victime consentante, enivrée d’amour parce qu’abusée. La pire étant Zerlina, petite chipie manipulatrice, faussement revêche et coquette. Masetto est une sorte de niguedouille, une brute épaisse. Le Commandeur cesse d’être la figure hiératique, marmoréenne de morale, il est frustre et ivre de vengeance, aveuglé par ses principes rétrogrades. Leporello se révèle finalement un être fragilisé par les frasques de son maître et touchant, un pierrot quasiment rêveur. Jean-Yves Ruf nous propose des lames de tarot où Don Giovanni tire la carte de la mort au moment où sa liberté est au zénith. Le triomphe de Don Giovanni finalement est celui des êtres libres ? Corollaire cynique et quelque peu désenchanté. Dans cette mise en scène fantastique, Jean-Yves Ruf a réinventé un mythe et le rend encore plus légendaire, il renoue ainsi avec le « burlador » qui n’est autre chose qu’un « desengañado« , un blasé avec une soif d’absolu que rien ni personne peuvent désaltérer.

 

Avec une telle mise en scène, le partenariat musical de Julien Chauvin et ses musiciennes et musiciens du Concert de la Loge ont interprété cette partition avec une telle fraîcheur, mâtinée de sincérité, qu’il nous semblait redécouvrir un bijou inconnu de Mozart. Les attaques d’une justesse à la perfection et les nuances explosant de couleurs nous ont passionné. Les pupitres d’un équilibre parfait ont secoué la charmante bonbonnière de la salle de l’Athénée, avec les passions déchaînées de Don Giovanni et ses interminables conquêtes.

 

 

Intégralement composé de jeunes solistes, la distribution est tout bonnement parfaite et équilibrée. Giovanni est campé par Timothée Varon au timbre sombre et souple, malgré parfois quelques limites dans l’agilité et un jeu souvent raide. Face à lui la cohorte féminine est menée tambour battant par l’Elvira de rêve de Margaux Poguet au timbre riche et puissant, formidable dans les nuances. Marianne Croux est une Anna tout aussi formidable, avec des moyens extraordinaires et des aigus diamantins. Zerlina est Michèle Bréant dont le timbre est d’une agilité impressionnante, nous eussions voulu peut-être un peu plus de projection par moments. Abel Zamora est un Ottavio avec une tessiture aux mille couleurs et d’une belle sincérité dans le jeu, il nous fait découvrir toutes les nuances musicales et histrioniques du rôle avec un immense talent. Mathieu Gourlet a une voix magnifique et une présence scénique hors pair malgré le côté benêt de Masetto. Adrien Fournaison est un Leporello idéal avec une tessiture aux graves veloutés et une incarnation émouvante d’un rôle souvent cantonné aux sbires. Captivante distribution pour cette production, leurs voix demeurent dans l’esprit des heures après avoir vu le spectacle.

Don Giovanni triomphe ainsi de la mort et passe par nos émotions comme une ombre mystérieuse. Doit-on tourner le dos à cet « anti-héros » fascinant ou simplement nous regarder dans son reflet ? N’oublions pas que la plus rude morale drape sous la bure sévère, la somptueuse soie vermillon qui nous détermine et nous conduit à la quête irrépressible de l’absolu.

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre de l’Athénée, le 15 novembre 2024. MOZART : Don Giovanni. T. Varon, M. Croux, M. Poguet, A. Fournaison, A. Zamora, N. Tavernier… Jean-Yves Ruf / Le Concert de la Loge / Julien Chauvin (direction). Toutes les photos © Simon Gosselin

 

 

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