lundi 10 février 2025

ENTRETIEN avec le compositeur Fabien TOUCHARD, à propos de son dernier album (12 Études pour piano – 1 cd Hortus)

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Pourquoi questionner le genre « étude » au piano ? Que peut raconter le clavier ? Les 12 pièces sont les tableaux d’un voyage intérieur où chaque morceau outrepasse son prétexte technique pour devenir hommage aux musiciens du passé… une célébration qui suscite aussi la complicité avec ici 6 pianistes requis pour leur interprétation. Et pour rythmer comme des pauses complémentaires, tout le cheminement, Fabien Touchard joue lui-même 2 « Limbes », parenthèses méditatives et planantes. Le cycle prolonge un précédent album monographique édité également par Hortus (« Littoral », 2021); il concentre le travail actuel du compositeur sur le clavier, et pourrait engendrer une probable suite…

 

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CLASSIQUENEWS : Pourquoi 12 études ? Comment les avez-vous composées, à partir de quels critères ? L’ordre final et la numérotation actuelle correspondent-ils à la chronologie de la composition ?

FABIEN TOUCHARD : Le nombre 12 renvoie à la longue tradition des 12 ou 24 Études (ou Préludes), que j’ai voulu reprendre ici en l’organisant à la manière d’un voyage engagé il y a 14 ans et terminé en 2022, peu avant l’enregistrement du disque. Ce voyage s’exprime à travers les différents titres, qui font de chaque Étude, un petit tableau : Dans le vent venu, Ébauche de vertige, Littoral, etc. L’organisation de ce cycle s’est opérée une fois que 6 ou 7 Études ont été écrites, séparément, chacune pour des circonstances différentes. Alors, il m’a semblé que quelque chose commençait à se dessiner, que les 7 Études en appelaient 12, et que cet ensemble pouvait raconter quelque chose d’intéressant. C’est en premier lieu ce qui m’intéresse : ce que la musique raconte. Vous pouvez tout à fait écouter chaque piste individuellement, mais le tout est pensé comme un grand cycle, avec des instants plus ou moins graves ou légers, des rebondissements… et, au fur et à mesure, avec un cheminement intérieur, une élévation vers autre chose que soi. Je crois que le sous-titre de la dernière Étude (Littoral [In Paradisum]) reflète explicitement cette trajectoire, cet élan vers le haut. Il y a quelque chose de l’ordre d’une spiritualité que je laisse chacun interpréter à sa guise. Par conséquent, c’est le récit qui prime dans l’ordonnancement des pièces et non leur chronologie (bien que la première Étude soit la plus ancienne, ce qui est un hasard).

 

CLASSIQUENEWS : De quelle façon avez-vous questionné la forme de l’étude ? En particulier pour 2 ou 3 Études de votre choix, quels sont les enjeux et la trame pour le compositeur ?

FABIEN TOUCHARD : Dans sa tradition, l’étude pour piano se focalise souvent sur un aspect technique particulier. C’est le cas par exemple des Études de Chopin : l’une se concentre sur les tierces, l’autre sur les octaves, etc. et bien que, comme on le sait, les Études de Chopin transcendent l’aspect « exercice » des différentes pièces pour en faire des chefs-d’œuvre de composition. D’autres Études, comme celles de Ligeti, soulèvent aussi des problématiques compositionnelles et deviennent presque des « Études pour la composition » – en plus d’être d’une difficulté technique ahurissante ! Pour ce qui me concerne, j’ai tout d’abord voulu rendre hommage à ces grands maîtres : chaque étude est dédiée à l’un d’entre eux (à des compositeurs ayant œuvré pour ce genre, voire à des grands pianistes). Sur le fond musical, comme je le disais précédemment, j’ai choisi de focaliser ces pièces sur la narration : ce sont presque des études qui réunissent différentes formes de récits – en plus, là aussi, d’être d’une très grande difficulté technique.

Par exemple, l’Étude n°6 « Ébauche de vertige », commence par un thème très lent et éploré (ce n’est ni inédit ni étonnant : tout comme certaines Études de Chopin), thème progressivement emmené dans une direction inattendue mettant en œuvre de périlleuses doubles notes et l’utilisation des registres extrêmes du piano (évoquant un piano beaucoup plus moderne), avant de conclure par une citation recueillie, méditative, intérieure, très… brahmsienne. Ainsi l’hommage (multiple, postmoderne, mélangeant les époques) se conjugue au récit et aux rebondissements.

Néanmoins certaines d’entre elles abandonnent cet aspect très narratif, divers et contrasté, pour revenir à l’Étude se concentrant autour d’un principe moteur unique : l’Étude n°12 « Littoral » (hommage discret à l’Étude n°12 op. 25 de Chopin, parfois appelée Océan), fait entendre des doubles croches ininterrompues du début à la fin, pendant… sept minutes, véritable gageure pour l’endurance du pianiste. L’objet de cette pièce est de travailler sur des enchaînements harmoniques « fondus » les uns dans les autres, des « morphings » d’accords successifs si je puis dire, un peu comme une musique qui serait diffusée au ralenti, dans une forme de temps retenu (pas tout à fait suspendu).

 

Fabien Touchard © JB Millot

 

 

CLASSIQUENEWS : Pour l’interprète, quels sont les défis ? Comment avez vous opéré le choix des pianistes ? Sur quels points avez vous travaillé avec eux pour l’enregistrement ? Et vous même, pourquoi avoir choisis de jouer Premières et Secondes limbes ? Quel sont leur enjeu et leur trajectoire formelle ?

FABIEN TOUCHARD : Ces pièces sont difficiles, voire très difficiles à jouer. C’est d’ailleurs ce qui les rattache le plus au genre de l’Étude dans sa tradition : ce sont des pièces de virtuosité et elles sont tellement difficiles que six remarquables pianistes ont conjugué leurs efforts pour les enregistrer ! Il s’agit d’Orlando Bass, Camille Belin, Philippe Hattat, David Kadouch, Flore Merlin, Guillaume Sigier. Je participe également, jouant deux interludes disposés comme des respirations à l’intérieur du cycle, appelés Limbes (évoquant une forme de temps tout à fait suspendu cette fois). Ces respirations seront les bienvenues le jour où un unique pianiste sera assez fou pour relever le défi de les jouer en intégralité en concert ! Elles sont, je pense, également les bienvenues pour l’auditeur écoutant l’entièreté du cycle : l’écoute a besoin de respirer elle aussi. La « distribution » des différentes pièces s’est effectuée selon les circonstances : beaucoup avaient déjà joué ces pièces lorsqu’elles avaient été écrites isolément. Par exemple, « Dancing lillies » faisait partie d’un programme de créations interprété par David Kadouch, lors d’un récital à la Scala Paris en 2018 ; c’était d’ailleurs une commande de la Scala Paris. D’autres, les plus récentes, ont été écrites spécialement pour cet enregistrement. Il n’empêche que chaque pièce correspond bien ce me semble à la personnalité de son interprète, et inversement chaque interprète appose sa « patte », dans tous les sens du terme, sur la ou les pièce(s) qu’il ou elle joue. Ce qui enrichit, colore et diversifie considérablement cet enregistrement.

 

CLASSIQUENEWS : Comment s’inscrit ce nouveau cycle dans votre « catalogue » et votre parcours ? Prolonge-t-il ou ferme-t-il une séquence dans votre travail de compositeur ?

FABIEN TOUCHARD : Ce cycle fait partie d’un ensemble d’œuvres pour le piano : Le noir de l’ange écrit pour Pierre-Yves Hodique (sous-titré « concerto pour piano et électronique ») et qui est paru chez Scala Music en 2023 ; Cri est une pièce pour piano et orchestre composée pour la finale du concours international Piano Campus 2024. Je suis dans une période très pianistique de mon activité ! Le travail autour d’un « piano augmenté » par l’électro-acoustique, si je puis dire, est récurrent chez moi et fait suite à ma précédente monographie « Littoral » parue chez Hortus en 2021, mêlant improvisations au piano, poésie anglaise, créations pour piano et bande… La bande électro-acoustique diversifie, enrichit et s’entremêle à la partition de piano et lui donne un relief particulier que j’aime beaucoup explorer. Il est possible que ces Études marquent une culmination et un aboutissement du travail autour de cet instrument. Il est possible aussi qu’un second Livre voie le jour, dans quelques années, complétant ainsi les 12 en 24. Je ne sais pas encore. L’avenir le dira !

Propos recueillis en mai 2024
Portraits de Fabien TOUCHARD © Jean-Baptiste Millot

 

 

LIRE aussi notre présentation / annonce du cd 12 Études de Fabien Touchard (1 cd Hortus) :
https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-fabientouchard-etudes-pour-piano-camille-belin-flore-merlin-orlando-bass-philippe-hattat-david-kadouch-guillaume-sigier-fabien-touchard-1-cd-hortus/

 

LIRE aussi notre critique du cd 12 Études de Fabien Touchard (1 cd Hortus) :
https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-fabien-touchard-12-etudes-pour-piano-orlando-bass-camille-belin-philippe-hattat-david-kadouch-flore-merlin-guillaume-sigier-fabien-touchard-piano-1-cd-hortus/

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