vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 26 septembre 2024. GOUNOD : Faust. P. Pati, A. Esposito, A. Edris, F. Sempey, M. Viotti… Tobias Krätzer / Emmanuel Villaume.

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Ce soir-là, il avait plu sur toute la France ; définitivement, l’été avait abandonné les quais de la Seine, et les larges avenues autour de la place de la Bastille faisaient ronronner la valse triste des automobiles. Les vêpres annonçaient déjà, au sein du grand amphithéâtre de l’Opéra Bastille, le retour du Faust de Charles Gounod et ses incantations dramatiques. Le chef d’œuvre absolu de l’opéra français allait revenir dans une nouvelle production après une interruption forcée par la pandémie. Initialement mené par Benjamin Bernheim et Christian van Horn, ce Faust revisité dans le Paris de la fin des années 2010 nous promettait non seulement une vision nouvelle, mais une refondation du mythe goethéen. 

 

 (Faust à l’Opéra Bastille © Franck Ferville)

 

Le temps perdu

 

L’histoire de l’intellectuel obsédé par la quête de connaissance et de son pacte avec le Malin semble rappeler ces antiques runes qui font référence aux souffrances d’Odin pour boire à la source de ce savoir infini, dont la souffrance est le prix à payer. A la différence de la pièce originelle de Goethe, le Faust de Gounod désire la jeunesse en lui attribuant tous les pouvoirs face à une lassitude proche du désespoir. A l’égal de Juan Ponce de Léon en 1513, la recherche de la fontaine de jouvence n’aboutit qu’à la propre perdition dans des contrées inconnues et dangereuses. Contrairement au Fitzcarraldo de Werner Herzog, le Faust de Gounod se laisse berner par imprudence et devient l’objet de Méphistophélès malgré lui. La quête d’un idéal superficiel mène toujours à la perte et la damnation. 

Ce dernier postulat semble être la thèse de Tobias Krätzer pour sa mise en scène. Faust vit dans un appartement parisien cossu, lambrissé de moulures et à la bibliothèque fournie. Appartement d’un intellectuel raffiné qui a tout réussi sauf la joie simple du ménage domestique. Le canapé Roche Bobois voit la solitude partagée avec une belle nymphe au consentement monnayé et les lourds rideaux de brocart vert uni s’ouvrent sur la vie éclatante d’un Paris qui ne dort jamais. Dans la vision de Tobias Kratzer, il oppose l’opulence apparente de Faust au sordide quartier HLM de la banlieue est où habitent Marguerite, Valentin et Marthe. Déjà on est dérangé par le simplisme de cette vision. Elle nous rappelle fatalement une mise en scène révoltante de Don Giovanni de Mozart par le couple Leiser & Caurier, à Nantes, en 2016. Les décors sont quasiment les mêmes et les procédés dans la construction des personnages, confondants de similitude. Faut-il désormais étaler au grand jour des différences sociales inventées et mêler ça de quelques images poétiques ? Kratzer veut tout faire et tout montrer avec un manque de tact, un recueil de poésie et une impudicité manifeste. On peine parfois à suivre l’intrigue entre projections sur le rideau de tulle et autres gadgets technologiques. Ce qui a été remarquable dans La Traviata de Simon Stone, qui a tout réussi avec poésie et subtilité, peine à fonctionner dans ce Faust

 

(Pene Pati & Amina Edris dans Faust à l’Opéra Bastille © Franck Ferville)

 

Si sur scène, hélas, la mise en scène n’a été qu’une succession de poncifs et d’approximations, nous avons été gâtés par une distribution et une direction d’orchestre idéales. Pene Pati a non seulement les qualités vocales requises par le rôle, c’est un orfèvre dans l’ornementation et le style. Il est un Faust de rêve, à la fois puissant et aux mélismes délicats. Son « Salut, demeure chaste et pure » est iconique. Un véritable rêve d’entendre un tel musicien dans ce rôle. Nous nous réjouissons qu’il soit régulièrement sur la scène de l’Opéra de Paris. 

Le Méphistophélès d’Alex Esposito a la richesse de timbre que requiert le rôle. On remarque des graves veloutés et une puissance dans la cadence qui nous ravit. Il est déchaîné dans les ensembles et son jeu d’acteur est plus qu’inquiétant tellement, il sait interpréter ce personnage. La soprano égyptienne Amina Edris est une ravissante Marguerite. Parfois un peu en retrait sur la prosodie et avec un manque de projection dans certains passages, elle domine tout de même dans les airs et les fastueux ensembles. Le trio final est splendide et nous avons découvert une formidable artiste. Vivement son retour dans une autre production. Florian Sempey reprend le rôle de Valentin, qu’il avait déjà incarné en 2019. Ce fabuleux soliste est un artiste complet dont la voix porte des couleurs impressionnistes, toujours plus riches et surprenantes, avec lui tout type de répertoire sera un trésor à découvrir. La fantastique Marina Viotti campe un Siebel d’anthologie. Malgré la mise en scène, où le jeune étudiant est une espèce de « nerd » gauche sorti d’une sitcom, la mezzo-soprano égrène toutes ses interventions de belles inflexions. Nous redécouvrons avec plaisir les airs de ce rôle qui sont devenus des « tubes » mais qui semblent des nouveautés, rares et précieuses, dans l’étendue vocale de Marina Viotti.

Emmanuel Villaume – en expert de cette musique – dirige l’Orchestre et les Choeurs de l’Opéra national de Paris avec un talent inénarrable. Toute la partition est déployée dans l’étendue de sa poésie, le respect du langage de Gounod et la mise en valeur de la beauté du style. Maestro Villaume a su exactement construire l’intensité dramatique qui fit défaut sur scène. Pendant les ballets, on a pris littéralement une vague vivifiante de musique qui a redonné totalement sa place à ces pièces d’agrément dans l’ensemble du drame. Espérons qu’Emmanuel Villaume revienne sur les scènes et dans les fosses de France, où il se fait trop rare, alors que c’est un des plus grands chefs de sa génération et un incomparable talent. 

A la fin de Faust, peut-on alors rentrer inerte dans les intérieurs honnêtes de ce Paris qui se rendort dans son quotidien ? Que cherche Faust à la fin ? Peut-être la réponse que Marcel Proust a fini par offrir aux âges, celle du temps qui semble perdu à tout jamais, mais qui au fond est toujours retrouvé, souvent quand on l’espère le moins…

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 26 septembre 2024. GOUNOD : Faust. P. Pati, A. Esposito, A. Edris, F. Sempey, M. Viotti… Emmanuel Villaume / Tobias Krätzer. Photos © Franck Ferville.

 

VIDÉO : Trailer de « Faust » selon Tobias Krätzer à l’Opéra Bastille

 

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