mercredi 18 septembre 2024

CRITIQUE, opéra. NICE, Théâtre de l’Opéra (du 30 avril au 4 mai 2024 ). L’OLYMPIADE DES OLYMPIADES (d’après VIVALDI). F. Escalona, R. Brès-Feuillet, M. M. Sala… Eric Oberdorff / Jean-Christophe Spinosi.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Bertrand Rossi, le fringant directeur de l’Opéra Nice Côte d’Azur (que nous venons tout juste d’interviewer à l’occasion de sa présentation de la saison 24/25 de l’institution niçoise), n’aime rien plus que casser les codes, mêler les genres, ouvrir les horizons de son public. Ainsi, profitant de l’imminente arrivée des Jeux Olympiques d’été à Paris, il a voulu se faire rejoindre ses deux passions, la musique et le sport (dans une ville par ailleurs fière de posséder le “Musée National du Sport”…), avec pour but ultime de diffuser de la musique auprès de tous les publics en rassemblant les univers de la musique et du sport.

 

 

Et c’est bien évidemment sur le célèbre livret de “L’Olimpiade” par Pietro Metastasio que s’est porté son choix, à travers le non moins célèbre opéra d’Antonio Vivaldi, mais pas seulement, … en recourant aussi à la pratique toute baroque du Pasticcio, et en y incluant ainsi des airs d’autres compositeurs ayant mis en musique le livret métastasien. Car lorsque Vivaldi le met en musique en 1734, il est le deuxième à l’utiliser après la création, l’année précédente, par Antonio Caldara, avant d’être repris plus de 60 fois (!) jusqu’au début du 19ème siècle, par des compositeurs tels que Pergolèse (1735), Hasse (1756), Jommelli (1761), Traetta (1767), Myslivecek (1768), Cimarosa (1784) ou encore Paisiello (1786) – dont certains airs ont été ici retenus – et inclus dans un livret auquel Jean-Christophe Spinosi – grand ordonnateur de la nouvelle partition (avec sa soeur dramaturge Nathalie Spinosi)  – n’a quasiment pas touché (même s’il y fait intervenir une “maîtresse de cérémonie”, nous y reviendrons…).

Outre le choix du livret, Vivaldi compose pour l’occasion une partition particulièrement virtuose, regardant du côté des muses napolitaines, très en vogue alors, tout en essayant de garder un caractère plus vénitien, et la caractère napolitain est ici renforcé par l’ajout d’arias tirées d’Olimpiade composées par compositeurs eux aussi influencés par l’école napolitaine tels Antonio Caldara (1670-1736), avec l’air d’Aristée “Grandi, è ver, son le tue pene”, noble et virtuose à la fois), Tommaso Traetta (1727-1779), avec le bel air d’Argene du deuxième acte “Che non mi disse un dì”, où se dit toute la douleur de son désespoir amoureux, le plus obscur compositeur napolitain Davide Perez (1711-1778), avec le dernier air d’Argène (à l’acte III)  “Fiamma ignota”, ou encore Johann Adolf Hasse (1699-1783) avec la page d’ensemble “I tuoi strali, terror de’ mortali” à l’acte III.

 

 

L’intrigue met en scène Aristea, fille du roi Clistene, promise en récompense au vainqueur des Jeux Olympiques. Licida, qui la convoite mais se sait incapable de remporter les épreuves, demande à Megacle, épris de la princesse et aimé d’elle, de prendre sa place. Ignorant la nature de la récompense, Megacle accepte de rendre service à son ami. Quand il découvre la vérité, il décide de tenir sa promesse malgré tout, quitte à renoncer à la jeune fille qu’il aime. Il l’incite même à prendre Licida pour époux, bien décidé, de son côté, à se donner la mort ensuite. Survient Argene, éprise de Licida et qui, dépitée de le voir s’unir à Aristea, révèle la supercherie à Clistene. Licida est alors condamné à l’exil, puis à la mort, après avoir tenté d’assassiner le roi. Mais Clistene, in extremis, découvre que le coupable n’est autre que son propre fils, jeté tout enfant à la mer pour conjurer une sinistre prédiction, et tout se termine dans l’allégresse, avec l’union des deux couples, Aristea-Megacle et Argene-Licida.

Signataire d’une remarquable (et remarquée) production de “Phaéton » de Lully in loco en 2022, le chorégraphe Eric Oberdorff renoue avec la réussite et suscite un incroyable engouement auprès du public niçois avec son ingénieuse et protéiforme mise en scène du pasticcio. Seule entorse au livret, il ajoute un personnage, une “Maîtresse de Cérémonie” (excellente Anaïs Gournay) qui, à l’occasion de la retransmission d’une épreuve olympique, retrouve les petites figurines Pannini de son enfance, quand elle rêvait de devenir elle-même une championne sportive, et commente l’action en lieu et place des récitatifs, avec des propos bien évidemment modernisés, comme si l’histoire se passait de nos jours… 

Mais c’est surtout la scénographie (due à Fabien Teigné) qui retient d’abord l’attention et suscite la curiosité, car la salle de l’opéra a été totalement “chamboulée” pour l’occasion, en modifiant sa structure. Ainsi, au lieu d’avoir les trois espaces traditionnels, bien divisés et imperméables, c’est-à-dire la scène, la fosse, la salle, il a ici bousculé les frontières, l’orchestre étant réparti pour moitié sur scène et pour l’autre sur le parterre, tandis que des spectateurs les entourent sur leur droite et leur gauche, mais aussi à gauche de la piste d’athlétisme construite au beau milieu du parterre sur la scène, sur lequel a lieu – parfois au beau milieu d’un air (sans trop gêner toutefois les artistes) des joutes festives entre des danseurs classiques venus du Ballet de l’Opéra de Nice, et six breakdancers, cette idée qui s’est tout naturellement imposée puisque la breakdance est une nouvelle discipline olympique aux Jeux de Paris 2024… 

 

 

Enfin, un immense écran est placé derrière, rendant inaccessibles toutes les loges du côté gauche du théâtre à l’italienne, et sur lequel défilent en temps réel des images de jeunes gens portant la flamme olympique à travers toute la ville de Nice (on reconnaît la célèbre Promenade des Anglais, bien sûr, mais aussi le Port, la Corniche etc.). Et c’est dans la salle même de l’opéra, sur les derniers accords, que la flamme parviendra, sous les hourras du public et la reprise, plusieurs fois d’affilée, du magnifique finale de l’opéra de Vivaldi.

La distribution réunie par Daniela Dominutti, bras armé de Bertrand Rossi en charge des distributions vocales à Nice, s’avère en tout point enthousiasmante, à commencer par la prestation du contre-ténor marseillais Rémy Brès-Feuillet qui éblouit dans le rôle de Megacle : assurance dans la vocalise di forza, expressivité des récitatifs, connaissance (déjà) parfaite des mécanismes du bel canto, on ne sait qu’admirer le plus, d’autant que la majeur partie du temps il doit chanter dans d’improbables positions en accord avec le caractère sportif de la mise en scène ! On retrouve également avec un réel plaisir l’excellent contre-ténor vénézuélien Fernando Escalona (Licida), avec sa voix égale, un chant maîtrisé et sa finesse dans l’expression qui nous avait enchanté lors d’autres spectacles. De son côté, la contralto italienne Margherita Maria Sala escalade avec vaillance les aigus d’Aristea, tandis que le timbre aux reflets chatoyants et le chant chaleureux de la soprano roumaine Anna-Maria Labin s’accordent parfaitement à la tendresse du personnage d’Argene. La basse italienne Luigi De Donato ne fait qu’une bouchée de la partie de Clistene, à qui il confère une pleine autorité tant vocale que scénique. Une mention également pour Marlène Assayag (Aminta), elle aussi très aguerrie sur le plan technique, capable de restituer les acrobaties vocales de son personnage, avec autant de musicalité que d’intelligence. Enfin, le baryton basque Gilen Goiecoecha offre un Alcandro avec des couleurs et une ligne de chant, dignes d’éloges.

Dirigeant à la fois son Ensemble Matheus sur instruments anciens (placé face à la scène) et l’Orchestre Philharmonique de Nice jouant sur instruments modernes (jouant tour à tour ou simultanément, mais tous deux au même diapason !), Jean-Christophe Spinosi ne ménage pas ses efforts et réussit son incroyable pari d’harmoniser le son des deux ensembles instrumentaux, qui se montrent tout deux dans une forme toute… olympique !

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. NICE, Théâtre de l’Opéra (du 30 avril au 4 mai 2024). L’OLYMPIADE DES OLYMPIADES (d’après VIVALDI). F. Escalona, R. Brès-Feuillet, M. M. Sala… Eric Oberdorff / Jean-Christophe Spinosi.

 

 

VIDÉO : Trailer de “L’Olympiade des olympiades” – d’après Vivaldi – et selon Eric Oberdorff à l’Opéra Nice Côte d’Azur

 

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