Créé à La Fenice de Venise en 1846, Attila est basé sur un Livret de Temistocle Solera, d’après la tragédie homonyme de Zacharias Werner, qui serait aujourd’hui bien oubliée si Mme de Staël n’en avait fait état dans son volumineux De l’Allemagne… Sur un fond d’approximative vérité historique, l’intrigue met en scène – en un Prologue et trois actes -, la marche sur Rome du « Fléau de Dieu » et son assassinat la nuit de ses noces. Parmi les ouvrages de jeunesse de Giuseppe Verdi, Attila est à la fois un des plus intéressants et des plus difficiles à programmer : sans même parler de la mise en scène, il est nécessaire de réunir quatre chanteurs de premier ordre et un chef capable de fusionner l’élan rude, voire sommaire, typique des « Années de galère » du compositeur, et l’évidente recherche instrumentale dont témoigne la partition. A l’Opéra de Marseille, Maurice Xiberras a circonvenu le premier écueil en proposant l’ouvrage sous format concertant, et pour le reste… il a eu la main particulièrement heureuse !
Pour commencer, la basse italienne Ildebrando D’Arcangelo brille et impressionne dans le rôle-titre : il possède l’autorité vocale comme scénique du Roi des Huns, et c’est merveille d’entendre comment la voix s’épanouit dans un médium rond et onctueux, sans rien perdre de sa substance et de son volume quand elle monte dans l’aigu. On admire également l’incroyable diversité de son chant : l’amour, la fierté, la brutalité, le dépit sont autant de moments du rôle qui trouvent en D’Arcangelo un interprète capable d’insuffler les mille détails qui donnent soudain un relief à la musique, autant qu’à la psychologie du personnage. Son Attila émeut au même titre que les grandes figures tragiques de la maturité : on ne saurait écrire meilleur éloge…
Pour Angela Meade initialement annoncé, la soprano hongroise Csilla Boross (éblouissante Abigaille sur cette même scène au printemps dernier) trouve un autre personnage (verdien) à sa mesure, jouant habilement de ses inégalités de registre pour traduire aussi bien les éclats vengeurs d’Odabella que ses douleurs intimes. Ses moyens semblent avoir été taillés exactement pour ce rôle crucifiant, dans lequel tant de ses consoeurs s’y sont cassé les dents ! Baryton-Chouchou de la scène phocéenne, l’espagnol Juan Jesus Rodriguez redonne à Ezio le beau rôle sur le plan vocal. Sa ligne de chant soignée, son legato souverain et sa diction impeccable sont un baume pour les oreilles de l’auditoire. Révélation de la soirée, le jeune ténor italien Antonio Poli campe un Foresto de haute école : la voix est impétueuse, rageuse et ne manque jamais de l’appui nécessaire à la projection parfaite du son. Mais ses incroyables moyens, et c’est là son incroyable atout, ne l’empêche pas de conduire la ligne de chant de son personnage avec élégance, et de faire montre de trésors de délicatesse (et de voix mixte) quand il s’agit d’exhaler son amour pour Odabella ou sa patrie. Autre chanteur à suivre de près, le jeune baryton basse français Louis Morvan qui possède un magnifique timbre de bronze, et une incroyable autorité vocale, qui font regretter que les interventions de son personnage du Pape Léon soient si courtes. Enfin, le ténor d’Arnaud Rostin-Magnin (Uldino) est pour l’instant d’un format assez confidentiel, surtout face aux quatre “monstres” qui l’entourent ici, mais le timbre est charmeur. Et enfin, il ne faudrait pas oublier ici un autre personnage extrêmement important dans cet ouvrage de Verdi qu’est le chœur, celui de l’Opéra de Marseille désormais préparé par Florent Mayet, phénoménal dans chacune de ses interventions, jouant à la fois de nuances et d’unité.
Mais la réussite de la soirée doit également beaucoup à la fiévreuse direction musicale de Paolo Arrivabeni, presque chez lui à Marseille tant il a dirigé de fois l’Orchestre Philharmonique de Marseille dans des productions lyriques in loco, toujours avec ces mêmes qualités de précision et d’engagement, et du soin apporté à chaque climat des oeuvres. Le chef italien révèle ici surtout, dans cet ouvrage assez méconnu, d’étonnantes trouvailles orchestrales, une richesse d’instrumentation fascinante, ainsi que la beauté et la complexité de magnifiques ensembles. En somme, tous les ingrédients qui, un an plus tard, feront de Macbeth un authentique chef d’œuvre, dont Attila est d’évidence le laboratoire.
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CRITIQUE, opéra. MARSEILLE, opéra municipal (les 29 octobre, 2 & 4 novembre 2023). VERDI : Attila (en version concertante). I. D’Arcangelo, C. Boross, JJ. Rodriguez, A. Poli… Paolo Arrivabeni (direction musicale). Photos © Christian Dresse.
VIDEO : Soaia Hernandez chante l’air “Santo di patria” dans Attila de Verdi à La Scala de Milan