Cela faisait neuf ans que Eugène Onéguine de Tchaïkovsky n’avait pas été programmé à la Royal Opera House de Londres, et il n’a pas galvaudé de dire que cette nouvelle production était particulièrement attendue. Et le résultat n’en est que plus décevant. On ne peut toutefois pas reprocher à la Royal Opera House de ne pas avoir fait preuve d’audace et d’ambition en confiant la mise en scène au réalisateur américain Ted Huffman, connu pour ses productions épurées et percutantes. Mais le choix d’un grand nom ne suffit certes pas pour faire un grand spectacle…
Soyeux à l’écoute, austère au regard
Crédit photographique © Tristram Kenton
Ted Huffman, et le scénographe Hyemi Shin, ont réduit Eugène Onéguine à un minimalisme en clair-obscur, dans un jeu étudié d’ombre et de lumière, conférant un visage austère à l’œuvre. La scène est vierge de décors, et seuls quelques accessoires viennent l’agrémenter : tables, chaises, et ballons pour la fête de Tatiana. Décontextualisée par un décor dépouillé, la grande célébration de la fête des récoltes n’est plus ici qu’un ballet chorégraphique, certes minutieusement réglé, mais dépourvu de sens. De nombreuses autres incongruités viennent également ponctuer la mise en scène notamment dans la scène du duel où Onéguine ne tue pas du tout Lensky : il dépose à terre son pistolet dont ce dernier se saisit pour se tirer une balle dans la tête. Huffman cherche t-il par là même à décharger Onéguine d’une quelconque culpabilité pour en faire davantage une victime qu’un bourreau ? On demeure toutefois perplexe face à cette mise en scène qui fait ce qu’elle veut avec l’œuvre sans qu’il n’y ait de réels justificatifs à une telle lecture. Heureusement, Huffman avance diverses autres propositions scéniques plus pertinentes. Ainsi dans la dernière partie de l’opéra, nous voyons Tatiana jouer avec les enfants d’Olga pendant que le fantôme de Lensky les regarde, ce qui donne une réponse poignante aux réflexions de ce dernier sur la façon dont on se souviendra de lui.
Mais s’il existe des points critiques, Il y a aussi beaucoup à aimer dans cette production, à commencer le sublime Lensky du ténor arménien Liparit Avetisyan, qui nous a offert la performance vocale exceptionnelle de la soirée, avec l’air « Kuda, Kuda« . La voix à l’aigu lumineux confère un crépuscule en forme d’aube à ce Lensky introspectif et poignant. Sa compatriote Kristina Mkhitaryan chante magnifiquement Tatiana, avec un phrasé sincère, un timbre crémeux et des notes de tête d’une grande clarté. Et il y a le chœur, tout aussi superbe que l’éloquence musicale avec laquelle l’orchestre, sous la direction d’Henrik Nánási, a restitué la partition sublime de Tchaïkovsky. Nous nous sommes littéralement délectés de la splendeur du rendu orchestrale, et notamment à l’écoute du grand thème de Tatiana pétri de cordes d’une grande finesse et de bois plaintifs. On se dit qu’avec tous ces atouts, cet Onéguine aurait pu être une production réussie, mais encore fallait-il, outre une mise en scène cohérente, que le rôle-titre tienne toutes ses promesses. Or Gordon Bintner déçoit. Bien que possédant une voix de baryton agréable et élégante, le baryton-basse canadien s’est heurté à des problèmes de justesse, et à une tension vocale de plus en plus présente au fil de la représentation.
On attendait beaucoup de cette nouvelle production, sans doute trop, finalement…
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CRITIQUE, opéra. LONDRES, Royal Opera House, le 7 octobre 2024. TCHAÏKOVSKY : Eugène Onéguine. G. Bintner, K. Mkhitaryan, L. Avetisyan… Ted Huffman / Henryk Nanasi. Photos © Tristram Kenton.
VIDEO : Trailer de « Eugène Onéguine » selon Ted Huffman à la ROH de Londres