Clelia Cafiero, qui ne cesse de nous enchanter, officie actuellement à la tête de l’Orchestre de l’English National Opera pour une série de représentation de La Bohème de Puccini, en anglais dans le texte, comme tous les ouvrages programmés dans cette maison. Et une fois de plus, la jeune cheffe a restitué toute son essence profonde à un répertoire hâtivement jugé facile, mais dont elle connaît toute la complexité harmonique sur le bout des doigts. Et sa direction vaut à elle seul que l’on entende cette Bohème.
Crédit photographique © Clelia Cafiero
Clelia Cafiero dans les pas de Pappano
Il convient, en effet, de se délecter des subtilités que Clelia Cafiero tire d’un orchestre de rang modeste, lequel grâce à sa direction inspirée, passe de l’ombre à la lumière. Une fois de plus, la cheffe, qui marche incontestablement dans les pas d’Antonio Pappano, révèle son talent pour saisir toute la dimension d’une partition que l’on imaginait rebattue et qui se fait ici entendre dans un drapé de nuances inattendues. Coloriste hors pair, Clelia Cafiero sait mettre en valeur toute une orchestration qui prouve une fois de plus que Puccini était à l’écoute attentive de ce qui se composait ailleurs à son époque. Son travail minutieux, avec chaque section de l’orchestre, est quasi cinématographique, tant il fait naître des images avant même que celle-ci ne surgissent sur le plateau (Ah ce glissando de cordes donnant le frisson précédant l’entrée en scène d’une Mimi mourante !). L’orchestre ici n’accompagne pas l’émotion, il la peint au regard du spectateur dans un modèle du genre. Clelia Cafiero impulse une formidable énergie qui se propage au plateau, rehaussant incontestablement l’interprétation de chacun des chanteurs.
Tous sont, en effet, à l’unisson dans un bel engagement collectif : Joshua Blue offre un Rodolfo un tantinet uniforme, mais capable de belles couleurs dans l’expression du texte. Madeleine Boreham, remplaçant au pied levé, en ce 3 octobre, Nadine Benjamin souffrante, n’est pas la plus séduisante des Mimi, mais sa technique et musicalité lui permettent une juste émotion sans affliction. Le Marcello de Charles Rice volerait presque la vedette à Rodolfo par son abattage et ses qualités vocales : l’émission est facile et le chant plaisant par son naturel. La voix de Vuvu Mpofu ne brille pas par sa puissance, mais elle campe superbement une Musetta, plus libre que frivole, donnant ainsi au personnage une profondeur inattendue. Patrick Alexander Keefe livre quant à lui un Schaunard bien en voix. Et le Colline de Dingle Yandell, plus baryton que basse, à la voix claire, affiche la présente discrète des êtres humbles.
Quant à la parure servant d’écrin à ces jeunes voix en devenir, il s’agit de la mise de Jonathan Miller, qu’on ne présente plus, et reprise ici avec brio, par Crispin Lord, avec ses décors modulaires dévoilant au regard les coulisses du drame, qui se joue autant dans la mansarde que dans les escaliers où les jeunes bohèmes à l’âme potache chahutent et épanchent, plus tard, leur peine au crépuscule de la vie de Mimi.
Cette représentation qui, sur le papier, ne payait pas nécessairement de mine, se révèle une heureuse surprise par ce bel équilibre d’ensemble maintenu de main de Maître par Clelia Cafiero.
_______________________________________________
CRITIQUE, opéra. LONDRES, Coliseum, le 5 octobre 2024. PUCCINI : La Bohème. M. Boreham, J. Blue, C. Rice… Jonathan Miller / Clelia Cafiero. Photo principale © Robert Workman.
VIDEO : « La Bohème » selon Jonathan Miller à l’English National Opera de Londres