samedi 26 avril 2025

CRITIQUE, opéra. LILLE, le 30 janvier 2023. DEBUSSY : Pelléas et Mélisande. Behr, Santoni, Duhamel… F-X Roth / D Jeanneteau.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Initialement mise à l’affiche de l’Opéra de Lille en février 2021, cette production de Pelléas et Mélisande avait été victime de la pandémie du Covid-19. Une captation vidéo à huis clos en avait été réalisée à l’époque, de même qu’un enregistrement discographique (chez Harmonia Mundi), et le spectacle est cette fois proposé « en live », deux ans plus tard, avec les mêmes artistes – à une exception près.

Premier bonheur de la soirée, la mise en scène de Daniel Jeanneteau qui s’avère aussi épurée qu’émotionnellement forte, et qui saisit les spectateurs dès la scène d’entrée pour ne plus les lâcher, jusqu’au tragique dénouement de l’intrigue. L’homme de théâtre français adopte ici un parti radical : l’essentiel est formé par un trou béant au milieu de l’espace scénique, au rebord arrondi, qui symbolise la fontaine et plus loin la tour (inversée), ainsi que de hauts murs gris latéraux, l’ensemble figurant un univers mental où se débattent des êtres laissant ici le pouvoir aux mots. Ce dispositif laisse toute leur place à la musique et aux lumières, dont les gradations sont essentielles, du noir total aux pénombres ambigües que colorent des éclairages caravagesques (signées par Marie-Christine Soma). Les personnages tournent autour du gouffre, au propre comme au figuré, jusqu’à ce que Golaud y précipite Pelléas, comme si cela ne pouvait qu’arriver : on atteint là à la tragédie pure.

 

 

Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Lille
tragédie pure, entre épure et émotion…
pour ténor et soprano

D’autre part, l’attitude inquiétante d’Arkel envers Mélisande, à l’acte IV, ouvre des perspectives rarement imaginées : n’est-il pas le grand responsable de toute la tragédie, celui qui sait le mal qui ronge la dynastie et ne veut pas le voir ? Ainsi les paroles finales qu’il profère ne seraient que sa manière de se soustraire à une culpabilité qu’il refuse d’assumer envers et contre tout, exemple absolu du refoulement qui est au cœur de l’ouvrage.

A rebours d’une certaine tradition qui confie les rôles-titres à un baryton et une mezzo, c’est ici à un ténor et une soprano qu’ils sont distribués. Etoile montante du chant français, la soprano corse Vannina Santoni campe une Mélisande superbe d’élégance, de pénétration musicale, et la beauté de son timbre est enchanteur, qui donne à l’héroïne sa force sans qu’elle perde de son mystère, ni de sa présence charnelle. Et c’est le sémillant Julien Behr qui lui donne la réplique en Pelléas, auquel il offre son physique de jeune premier, son habituelle fougue ainsi qu’une désarmante sincérité. Comme de coutume, son chant est empreint de distinction et d’élégance, la tessiture est franche, la voix saine et il cultive, avec un rare bonheur, les nuances les plus fugaces. Enfin, même si la partition retenue est bien celle destinée à un baryton aigu, il ne peine pas dans le registre grave, la voix s’étant encore un peu plus étoffée et assombrie.
Depuis sa prise de rôle à Bordeaux en 2018, Alexandre Duhamel a eu le temps d’approfondir son interprétation de Golaud, la portant à un niveau d’accomplissement stupéfiant : sa violence latente est plus distillée, infusée, par une subtile gradation depuis la scène de la chasse, toute de délicatesse (« N’ayez pas peur »), jusqu’à un cinquième acte époustouflant de talent dans l’expression du déchirement intérieur du personnage, en passant par une scène de l’épée glaçante (« Absalon ! »). Les appels à Mélisande pianissimo dans la scène de l’aveu sont la réalisation de la fracture psychologique du personnage, aboutissement du portrait shakespearien d’un homme emporté par l’irréversibilité de ses déséquilibres profonds. De son côté, Patrick Bolleire (à la place de Jean Teitgen, lors de la captation vidéo) offre sa voix d’airain et la noblesse de son phrasé, en même temps qu’une profonde humanité à son personnage. On pouvait faire confiance à Marie-Ange Todorovitch de gorger sa « scène de la lettre » d’émotion, et d’offrir au personnage de Geneviève toute la présence maternelle et protectrice dont on la sait également prodigue dans « la vraie vie ». N’oublions pas la basse franco-australienne Damien Pass qui mérite, avec sa voix égale et superbement timbrée, des emplois autrement de premier plan que celui du Médecin. Enfin, l’Yniold du jeune Edgar Combrun – en alternance avec Hélory L’Hernaut Roulière, tous deux issus de la Maîtrise de Caen – est épatant de justesse vocale et scénique.

A la tête de son Ensemble Les Siècles (qui joue sur des instruments d’époque), François-Xavier Roth – venu en voisin depuis son Atelier Lyrique de Tourcoing qu’il dirige désormais – cisèle la partition de Debussy ; il en livre une lecture tout en intimisme et impressionnisme, constamment attentif à lui restituer ses pulsations, sa lumière, sa poésie, son mystère. Il n’en privilégie pas moins, dans les moments dramatiques, des résonances d’une flamboyance toute wagnérienne.

Pour ceux qui ne pourraient se rendre à Lille, deux séances de rattrapage sont prévues au Théâtre de Caen les 24 et 26 mai prochains !

 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. LILLE, le 30 janvier 2023. Claude Debussy : Pelléas et Mélisande. Behr, Santoni, Duhamel… François-Xavier Roth / Daniel Jeanneteau. Photos © Frédéric Iovino (Julien Behr et Vanina Santoni)

 

 

 

 

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TEASER vidéo : Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Lille :

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