jeudi 10 juillet 2025

CRITIQUE, festival. LILLE, « Les Nuits d’été », le 8 juillet 2025. KURT WEILL : Les 7 péchés capitaux. Bella Adamova, Jess Gardolin,… Orchestre National de Lille, Joshua Weilerstein (direction) – Sandra Preciado, (mise en espace)

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C’est déjà la 4ème édition, la promesse à chaque début d’été d’une nouvelle aventure lyrique à Lille… Présentées à l’initiative de l’Orchestre National de Lille (ON LILLE), LES NUITS D’ÉTÉ se sont inscrites durablement dans l’agenda lyrique estival…

À l’heure où l’Opéra de Lille est fermé, peu d’offres de spectacles s’offrent aux lillois pourtant nombreux pendant l’été… Il revient à l’Orchestre National de Lille d’assurer la permanence d’un vrai service public de la culture et de proposer du lyrique en ce mois de juillet. Engagement exemplaire.

Photo : © classiquenews 2025

 

 

 


Le parti est totalement réussi et le programme choisi par le directeur musical de L’ON LILLE / Orchestre National de Lille, l’américain Joshua Weilerstein, séduit par sa cohérence et ses prises de risques. L’esprit de la comédie musicale [bienvenu dans un Casino] et aussi du cabaret berlinois, mordant et incisif, inspire visiblement l’équipe artistique dont les partis de mise en espace sont justes et plutôt efficaces voire indiscutablement oniriques.

Les 7 péchés capitaux de Kurt Weill écrit pour le Théâtre des Champs Élysées à Paris en 1933 sont un ballet chanté, forme originale qui souligne encore si l’on en doutait, le génie expérimental de Weill. Tout repose et fascine ici à partir du travail en miroir entre les deux Anna : la chanteuse et la danseuse, soit dès l’origine, la représentation archétypale d’un être double incarnant une dualité agissante et qui exprime très justement les tentations qui tiraillent chacun de nous. À travers les 7 villes traversées, chacune mettant en avant un péché, un penchant dangereux, est questionnée l’intégrité morale de chaque individu ; Anna éprouvée, tentée, désirée, affronte ainsi chaque cité épreuve, de Memphis à Los Angeles,  de Philadelphie à Boston, de Baltimore à San Francisco…

 

 

Kurt Weill
par l’Orchestre national de Lille
et Joshua Weilerstein

Entre Broadway et le cabaret berlinois,
les 4èmes Nuits d’été enchantent
au Casino Barrière de Lille

 

Bella Adamova et Jess Gardolin, respectivement Anna 1 et Anna 2
© classiquenews 2025

 

 

 

L’opéra et son livret soulignent les tiraillements permanents qu’éprouve l’héroïne avec d’autant plus d’occurrence dramatique que chacun des sentiments opposés s’incarne précisément dans les 2 Anna ; quand Anna 2 la danseuse s’offre, consent, s’amourache, dévore sans mesure… Anna 1 commente, déplore, s’oppose, tente de raisonner Anna 2. Cette réalité psychologique à 2 visages, à 2 corps se déploie ce soir avec une rare pertinence, fruit du travail de la jeune chorégraphe brésilienne JESS GARDOLIN qui assure le rôle dansé et semi parlé d’Anna 2. Sa frêle silhouette, qui la fait paraître telle la cadette de la chanteuse, exprime toute la fragilité humaine face à la tentation.

 

Rares les spectacle ainsi hybrides qui réussissent l’épreuve redoutable de la cohérence ; la fusion danse et chant fonctionne pleinement et reconnaissons que Weill était en avance sur son temps tant cette forme pluridisciplinaire du spectacle captive ce soir d’autant plus qu’elle porte aussi une claire défense de la femme et de son droit à la liberté comme à l’émancipation.
Anna paraît accablée, confrontée pas à pas à la dictature phallocratique et commerciale du capitalisme décomplexé, convoitée par le désir des hommes, certainement soumise aussi par sa propre famille ; celle ci depuis la Louisiane suit ville après ville les avancées et surtout les dividendes engrangés par le périple des deux jeunes femmes. Régulièrement la famille (le chœur virile présent tout du long à jardin) exprime son inquiétude de façade, non pas tant pour l’intégrité physique et morale de ses enfants, que leur capacité à amasser suffisamment de magot pour financer la maison familiale. La femme doit trimer, travailler, se sacrifier ; à elle d’arbitrer ce qui est juste ou pas, pour gagner les billets attendus.

 

Bien chauffé en première partie par un programme préalable entre cabaret et comédie musicale (où la chanteuse Isabelle Georges chantait «  Life is Cabaret », « Mein Herr », extraits de Cabaret de  John Kander, couplés avec des airs lyriques de Kurt Weill dont les inusables Youkali, – avec piano seul, puis Mack the Knife, extraits de l’Opéra de Quat’sous), l’Orchestre National de Lille fait merveille dans un répertoire qui exige de la puissance et une grande finesse instrumentale. Joshua Weilerstein fouille et articule la langue complexe de Weill qui fusionne cynisme amer, sensualité enivrée et surtout tendresse bouleversante pour ses héroïnes. L’équation banjo et clarinette colore toute la partition de couleurs irrésistibles, avec un swing spécifique que le maestro sait doser avec facétie ; sous la baguette vive et détaillée, énergique et très précise du chef, les instrumentistes expriment idéalement la force monstrueuse de la fatalité, celle qui emporte dans leur destin, les 2 protagonistes, tout en détaillant avec une grande finesse d’intonation, le fil humain, la texture émotionnelle qui relie Anne 1 à Anna 2 : chacune d’elle relève un à un chaque nouveau défi, chaque nouvelle épreuve.

 

Bella Adamova et Jess Gardolin, respectivement Anna 1 et Anna 2
© classiquenews 2025

 

Dramatiquement, le souffle de l’orchestre inscrit ce cheminement et ce parcours jalonnés d’épreuves, comme un rituel à la fois épique et tragique, où la lutte et la souffrance des corps s’exposent et s’expriment sans fard (ce que montre remarquablement bien la chorégraphie imaginée par Jess Gardolin). La danseuse répond en cela parfaitement au chant mordoré, souple et voluptueux de la mezzo-soprano BELLA ADAMOVA qui rayonne dans le rôle d’Anna 1, incarnant toute l’intensité et la justesse du personnage, l’un des plus captivants du théâtre de Weill. Le compositeur lui réserve de somptueuses mélodies, accompagnées par un orchestre exceptionnellement raffiné et actif. Les deux interprètes incarnent combien toute action oblige ; tout choix impose ses conséquences, et aucune des deux jeunes femmes ne sort indemne de ce tunnel redoutable. Le geste sûr du maestro éclaire tout autant le cynisme à l’œuvre dans cette traversée étouffante, une vision entre tension et souffrance à mettre évidemment en relation avec la propre destinée de Kurt Weill, lui-même sur la route de l’exil, fuyant la barbarie nazie, se fixant ainsi à Paris en 1933, avant de traverser l’Atlantique pour devenir citoyen américain.

La propre expérience de Kurt Weill et sa destinée elle aussi tragique se dévoilent dans le spectacle d’une grande sincérité. Sur le plan musical, l’orchestration somptueuse et l’indiscutable séduction mélodique de la partition emportent littéralement les spectateurs. Ce mélange idéalement dosé entre fureur tragique et raffinement musical produit un envoûtant cocktail auquel il est difficile de résister. A voir encore ce soir au Casino Barrière de Lille, à 20h. INFOS et réservations : https://onlille.com/  –  et page dédiée aux 7 péchés capitaux de Weill : https://onlille.com/choisir-un-concert/categories/les-nuits-dete-2

 

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CRITIQUE, festival. LILLE, « Les Nuits d’été », le 8 juillet 2025. KURT WEILL : Les 7 péchés capitaux. Orchestre National de Lille, Joshua Weilerstein (direction) – Sandra Preciado, (mise en espace)
Distribution :
Bella Adamova (Anna 1), mezzo-soprano
Jess Gardolin, (Anna 2), danseuse et chorégraphe
Le chœur familial
Guillaume Andrieu, (Père) Baryton
Florent Baffi, (Mère) Basse
Manuel Nùñez Camelino, (Frère 1) Ténor
Fabien Hyon, (Frère 2) Ténor
Alex Vizorek, récitant et maître de cérémonie
Sandra Preciado, mise en espace
Marzio Picchetti, lumières
Joshua Weilerstein, direction
Orchestre National de Lille

 

 

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PLUS d’INFOS, LIRE notre présentation des Nuits d’été 2025 : Les 7 péchés capitaux de Kurt Weill, les 8 et 9 juillet 2025 : https://www.classiquenews.com/onl-orchestre-national-de-lille-nuits-dete-8-et-9-juil-2025-kurt-weill-les-7-peches-capitaux-joshua-weilerstein/

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