mardi 29 avril 2025

CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre, le 27 février 2023. C. Monteverdi : Il Ritorno d’Ulisse in patria. M. Padmore, S. Mingardo… F. Biondi / Collectif F.C. Bergman.

A lire aussi
Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Après leur décapante lecture des « Pêcheurs de perles » à Anvers, il y a trois saisons, nous étions curieux de voir à quelle sauce le Collectif flamand FC Bergman allait manger l’ultime opus de Claudio Monteverdi, Il Ritorno d’Ulisse in patria. Le ton est donné dès l’ouverture du rideau de scène, et le plateau est transformé en prosaïque salle aéroportuaire, symbole s’il en est de… l’attente. Tout y est : les bancs typiques, le portique de sécurité, son panneau d’affichage (avec comme destination : Amour ou Destin !) et même le tapis des bagages qui, dans un moment de gag dont le collectif est friand, voit défiler tout un tas d’objets liés aux aventures du héros mythologique : un immense œil (du Cyclope), la non moins fameuse Pomme d’or du jardin des Hespérides, la tête du cheval de Troie etc.

En termes de drôlerie et d’humour décalé, le sommet est cependant atteint lors de l’affrontement des dieux Neptune et Jupiter, personnifiés l’un par une fontaine à eau et l’autre par une armoire électrique. Tandis qu’à chaque intervention du premier des jets d’eau impétueux jaillissent de la fontaine à eau qui se déplace tout aussi furieusement sur le plateau (la basse est en dehors de notre champ visuel), Jupiter lui répond par des fumées et des étincelles de son armoire électrique tournant sur elle-même !

 

 

Film d’horreur de série B à l’Opéra de Genève

le Collectif flamand FC Bergman
met en scène Ulisse de Monteverdi
musicalement convaincant
grâce à Mark Padmore et Sara Mingardo,
Ulisse et Penelope

 

 

 

 

Plus intrigante est la présence d’animaux vivants sur scène, Eumete ne se départissant pas d’une magnifique chèvre à poils longs tandis que Télémaque arrive sur un char tiré par un cheval. L’effet de réalité atteint même son comble pendant la scène des Prétendants (ici démultipliés) dont certains apparaissent à demi-vêtus et certains entièrement nus, et qui finissent tous égorgés et mutilés dans un déversement d’hémoglobine digne d’un film d’horreur de série B. Plus surprenante encore la scène finale qui voit Pénélope retourner dans sa salle d’attente, tandis qu’Ulysse retourne sur le tapis à bagages par lequel il était apparu en début de représentation !

On est beaucoup plus étonnés cependant par le tripatouillage de la partition et surtout que Fabio Biondi, à qui est ici confiée la partie musicale, ait accepté de laisser amputé le chef d’œuvre montéverdien. Passent ainsi à la trappe, et c’est une liste non exhaustive, les interventions d’Euryclée pendant les lamentations introductives de Pénélope, la scène des Phéaciens, l’air « du rire » d’Ulysse, le personnage du goinfre Iro et ses nombreuses interventions comiques tandis que celui de Junon est réduit à la portion congrue.
Mais il avait encore fait pire, in loco, avec L’Enlèvement au sérail en 2020… Les décisions musicales sont également prises sans esprit de système, et dans la plus grande liberté, mais avec plus de bonheur. Avec une phalange (son ensemble Europa Galante) plus nourrie que ce que l’on sait des effectifs vénitiens de l’époque, surtout en ce qui concerne le continuo confié ici à 6 instruments différents, les ritournelles sont notamment autrement plus développées. Et le son de la phalange baroque italienne est vivant, équilibré, avec des choix instrumentaux richement variés.

Excellente idée d’avoir confié le rôle au ténor britannique Mark Padmore pour Ulisse, qui malgré les années qui passent, a gardé une belle projection vocale alliée à un sens rare de la nuance, passant avec génie de la colère à la confidence amoureuse. La Pénélope de la mezzo italienne Sara Mingardo est la précision même. Sa voix pure et égale sur toute la tessiture convient bien à la permanence psychologique du personnage, mais elle sait en sortir pour atteindre les accents pathétiques de la reine éplorée.

Véritable colosse aux longs cheveux, le ténor espagnol Jorge Navarro Colorado possède toute la puissance et l’éclat vocal requis par sa juvénile partie. Membre du Jeune Ensemble du GTG, la soprano colombienne Julieth Lozano ne convainc pas entièrement en Amore et Melanto dont les mélismes du chant montéverdien sont encore difficiles d’accès pour elle. Giuseppina Bridelli est en revanche rayonnante dans son triple rôle de Giunone, Fortuna et Minerva, auquel elle prête son timbre profond et moiré. Tout aussi excellent l’Eumete du ténor anglais Mark Milhofer, au timbre limpide et soyeux. Citons également l’octogénaire Elena Zilio, étoile du chant italien dans les années 80, et qui suscite une indicible émotion dans le monologue final confiée au personnage d’Euryclée. Enfin, tous les autres nombreux rôles secondaires n’appellent aucun reproche, à commencer par le remarquable trio de prétendants : Vince Li en Pisandro, Sahy Ratia en Anfinomo et surtout l’impressionnante basse William Meinert en Antinoo !

 

 

_________________________________________
CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre, le 27 février 2023. C. Monteverdi : Il Ritorno d’Ulisse in patria. M. Padmore, S. Mingardo, J. Navarro Colorado… F. Biondi / Collectif F.C. Bergman. Photo (c) Magali Dougados.

 

 

 

TEASER VIDÉO Ulisse in Patria de Monteverdi au Grand-Théâtre de Genève :

 

 

Derniers articles

CRITIQUE opéra, OPÉRA GRAND AVIGNON, le 27 avril 2025. ZAÏDE [Mozart, Robin Melchior]. Mark van Arsdale, Aurélie Jarjaye, Andres Cascante, Kaëlig Boché… Orchestre National...

Saluons en ce dimanche après midi, à l'affiche de l'Opéra Grand Avignon, un spectacle réjouissant dont le double mérite...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img