CRITIQUE CD, Ă©vĂ©nement. MONTEVERDI : Il Ritorno Ulisse in patria (Les ĂpopĂ©es, S. Fuget – 3 cd ChĂąteau de Versailles Spectacles – dĂ©c 2021) – RĂ©vĂ©lĂ©s Ă lâĂ©glise (dans une lecture dramatique et articulĂ©e des Grands Motets de Lully / cycle superlatif en cours Ă Versailles), les musiciens des ĂpopĂ©es reprĂ©sentent actuellement un collectif homogĂšne, particuliĂšrement engagĂ©, dâune somptueuse expressivitĂ© – Esprit affĂ»tĂ© et fĂ©dĂ©rateur, StĂ©phane Fuget aborde dĂ©sormais lâopĂ©ra : son approche cible et interroge le cĆur mĂȘme du chant montĂ©verdien, ce « recitar cantando » qui articulant une action ne peut quâĂȘtre dĂ©clamatoire et oratoire. Il convient de trouver la voie juste qui laisse Ă l’intelligibilitĂ© du chant, sa capacitĂ© Ă ĂȘtre audible et compris des auditeurs / spectateurs. C’est un travail spĂ©cifique sur le rĂ©citatif : la voix articule et dĂ©clame le texte sur une ligne instrumentale [basse continue] rĂ©duite Ă l’essentiel, pour ne pas couvrir tel « recitar », mais souligner et renforcer son expressivitĂ©.
Il en ressort une diversitĂ© d’accents et de nuances dans la rĂ©alisation de cette mĂ©lopĂ©e chantante qui aiguise la caractĂ©risation des personnages, qui clarifie les situations. Ce dans une diversitĂ© de tons et dâintentions dâautant plus opportune que Monteverdi a su multiplier et croiser les diffĂ©rents registres : comique, hĂ©roĂŻque, tragique, sentimentalâŠ
Tous les solistes suivent le directeur des ĂpopĂ©es dans ce souci de vivacitĂ© et de naturel oĂč la parole se fait plus que chant : geste vocal, pilote dramatique. C’est un retour sur l’exigence quâavait Ravel (citĂ© dans la passionnante notice explicative) quand il prĂ©cisait le type de chant ["quasi parlando"] pour son opĂ©ra L’heure Espagnole : “dire plutĂŽt que chanter”. En rĂ©alitĂ©, StĂ©phane Fuget dĂ©boulonne les verrous de la notation musicale et questionnant ce qui se joue dans chaque sĂ©quence vocale, rĂ©tablit les vibrations et accents du cĆur et du sentiment dans lâexpression ainsi notĂ©e. Ainsi ses solistes ici ne chantent ou ne dĂ©clament pas : ils Ă©prouvent, souffrent, tĂ©moignent… Tous prĂȘts Ă jouer comme de suprĂȘmes acteurs le vertige des Ă©motions et des passions. Ni plus. Ni moins.
Les ĂpopĂ©es chantent lâopĂ©ra de Monteverdi
Réaliser le recitar cantando montéverdien
Historiquement voilĂ qui restitue l’Ulisse montĂ©verdien dans toute l’intensitĂ© de sa tĂ©nacitĂ© Ă la fois hĂ©roĂŻque et astucieuse telle que l’ont conçu Claudio Monteverdi et son librettiste Badoaro, proche de Busenello [librettiste de l'opĂ©ra suivant : L'incoronazione di Poppea] pour la crĂ©ation Ă Venise fin 1640.
Texte et musique eurent suffisamment d’impact pour impressionner l’auteur Federico Malipiero qui Ă©crit dans la foulĂ©e de Monteverdi sa propre “Peripezia d’Ulisse” dont le texte de sa prĂ©face confirme et la date et la paternitĂ© de lâouvrage.
RĂ©aliste, poĂšte, aussi astucieux que son hĂ©ros, Monteverdi sait varier les formes vocales pour renforcer toujours l’acuitĂ© du drame et la justesse expressive de la musique : sa science lyrique puise Ă maintes sources, y compris le burlesque dĂ©lirant avec Iro, monstre goulu et bĂ©gayant qui contraste avec les autres personnages et entitĂ©s divines ; son profil se rĂ©vĂšle particuliĂšrement stimulant pour la vivacitĂ© du drame. Chaque soliste sâengage pour la vĂ©ritĂ©. Ce Iro, dans son dĂ©lire Ă la fois Ă©gotiste et vulgaire, rĂ©cupĂšre la tension de ce qui a prĂ©cĂ©dĂ© (lâassassinat des PrĂ©tendants par Ulisse dĂ©guisĂ©). Opportun, il attĂ©nue lâhorreur criminelle qui a prĂ©cĂ©dĂ© : Jörg Schneider se montre vif, acĂ©rĂ©, libre dans sa charge burlesque : les prĂ©tendants massacrĂ©s, comment va-t-il manger Ă sa faim Ă prĂ©sent, lui qui dĂ©pendait dâeux pour subsister ? Le dĂ©lire et le cynisme de la scĂšne sont emblĂ©matiques de tout lâopĂ©ra. Protagonistes actifs, Valerio Contaldo et Lucile Richardot campent avec vĂ©ritĂ© et franchise chacun leur personnage dâUlisse et Penelopa (celle ci Ă la fois et digne et tragique), et mĂȘme les dieux, entitĂ©s qui tirent les ficelles, expriment ici, avec une sincĂ©ritĂ© ardente, souhaits et impĂ©rieux dĂ©crets (Junon / Marie Perbost, jugeant quâUlysse « a trop erré »). Tous les rĂŽles bĂ©nĂ©ficient dâune vivacitĂ© dĂ©cuplĂ©e ; une implication qui inscrit le verbe ardent comme acteur de lâaction.
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CRITIQUE CD, Ă©vĂ©nement. MONTEVERDI : Il ritorno Ulisse in patria (Les ĂpopĂ©es, S. Fuget – 3 cd ChĂąteau de Versailles Spectacles – enregistrĂ© Ă Versailles en dĂ©c 2021) – CLIC de CLASSIQUENEWS Ă©tĂ© 2022
distribution
Valerio Contaldo, Ulysse
Lucile Richardot, Pénélope
Ambroisine Bré, Mélantho, Euryclée, La Fortune
Juan Sancho, Jupiter, Télémaque
Alex Rosen, Le Temps, Neptune, Antinoos
Claire LefilliĂątre, Minerve
Marie Perbost, LâAmour, Junon
Filippo Mineccia, La Fragilité Humaine, Pisandre
Cyril Auvity, Eumée
Jörg Schneider, Iro
Pierre-Antoine Chaumien, Eurymaque
Fabien Hyon, Amphinomis
Les EpopĂ©es – StĂ©phane Fuget, direction