samedi 14 septembre 2024

CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre (du 13 au 27 décembre 2023). R. STRAUSS : Le Chevalier à la rose. M. Bengtsson, M. Losier, M. Petit… Christoph Waltz / Jonathan Nott.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Étrennée il y a tout juste dix ans (en décembre 2023) à l’Opéra Ballet des Flandres, cette production du Chevalier à la rose de Richard Strauss marquait les débuts du célèbre acteur autrichien Christoph Waltz dans l’univers de la mise en scène lyrique. 10 ans plus tard, Aviel Cahn (qui présidait alors le destin de l’institution flamande) fait venir ce coup d’essai (réussi) dans son nouveau fief du Grand-Théâtre de Genève (mais déjà sur le départ pour la Deutsche Oper de Berlin).

 

 

Dépouillée de son contexte et de ses ornementations rococos, dans une scénographie au contraire très spartiate de d’Annette Murschetz, l’action n’en est pas moins évocatrice du XVIIIe siècle, notamment au premier acte où tout est fait pour rappeler les multiples parallèles du livret de Hugo von Hofmannstahl avec Les Noces de Figaro. Un simple cadre de boiseries, un lit à baldaquin situé au milieu de la pièce, ainsi que de rares accessoires constituent l’unique décor du premier acte, espace clos et à l’abri de la lumière qui renferme l’intimité et la vie privée des principaux protagonistes. Les multiples visites qui émaillent l’action constituent autant d’intrusions insupportables dans un espace privé d’oxygène, cloisonné et replié sur lui-même. Le II, au palais de Faninal, est en revanche inondé de lumière, signalant par là une ouverture sur le monde et sur l’espace public qui offre un peu d’air à l’univers aristocratique confiné du début de l’ouvrage. Le troisième acte se situe clairement au XXe siècle, vraisemblablement à l’époque de la création de l’opéra. Le départ d’Ochs, puis celui d’une Maréchale plus en colère que résignée, laissent entrevoir la fin d’un monde ancien bousculé et remplacé par l’arrivée de nouvelles classes sociales, mais aussi de nouvelles valeurs économiques et morales. De fait, la proposition scénique de Waltz met clairement l’accent sur la comédie plutôt que sur le pathos et le drame intérieur, en rejetant autant le sentimentalisme lié à cet opéra que le poids des diverses traditions scéniques de l’ouvrage. Et dans cet univers cruel et décadent, Ochs et ses acolytes apportent finalement un soupçon de fantaisie et de liberté, même si leur déchéance morale n’en est que plus criante…

Déjà en charge du rôle-titre il y a dix ans, la soprano suédoise Maria Bengtsson n’en est que plus convaincante aujourd’hui. Du lever de rideau à la douloureuse résignation du troisième acte, sa composition paraît comme illuminée de l’intérieur et l’intelligence de l’artiste force à chaque instant l’admiration de l’auditeur. Elle enchante par sa musicalité et la chaleur de son timbre, mais plus encore par son sens des clairs-obscurs et l’infini palette d’inflexions qui ont transformé le monologue du I en un chef d’œuvre d’interprétation. La mezzo québécoise Michèle Losier campe également un superbe chevalier, apportant beaucoup de fraîcheur à son personnage. Le timbre chaleureux de sa voix fait merveille dans le superbe début du « Wie du warst », où elle commence très doucement sur un crescendo. Elle s’avère tout aussi excellente dans son interprétation de Mariandel, et ses « Nein, nein, ich trink’kein Wein » sont remplis d’humour, n’hésitant pas à nasaliser les notes. Elle s’accorde enfin parfaitement dans les duos avec la Sophie de Mélissa Petit, avec laquelle elle forme un couple absolument parfait. Idéale sur tous les plans, la jeune soprano colorature française aborde ce rôle avec la délicatesse d’un petit saxe et récolte un vrai succès personnel aux saluts, entièrement mérité à la lumière de ses Si bémol, Si naturel et contre-Ut filés qu’elle délivre tout au long de la soirée, en tous points impeccables.

La basse britannique Matthew Rose (au nom prédestiné) s’impose par son aisance scénique et par sa maîtrise vocale de la tessiture du Baron Ochs, jusqu’au Mi grave qui termine le deuxième acte. On finit même par prendre en sympathie ce libertin campagnard, par delà sa lourdeur et sa maladresse. Bonheur également de retrouver le grand Bo Skhovus en Faninal, même si la voix achoppe désormais sur les nombreux Fa et Sol aigus dont sa partie est émaillée. Parmi les seconds rôles enfin, l’on retiendra le Chanteur italien d’Omar Mancini, qui brille dans le célèbre air « Di rigori armato il seno », ainsi que l’impeccable Marianne de Giulia Bolcato, tandis que le couple d’intrigants formé par Ezgi Kutlu (Annina) et Thomas Blondelle (Valzacchi) s’avère également très crédible.

Le dernier bonheur du spectacle, celui de la fosse, est aussi le plus intense, avec un Jonathan Nott (directeur musical d’un Orchestre de la Suisse Romande en état de grâce) à sa place dans ce répertoire, qui stimule en permanence son merveilleux orchestre, dont le chef allemand n’a aucune difficulté à magnifier les plus infimes subtilités. La richesse en nuances est tout simplement superbe, avec toujours des niveaux sonores scrupuleusement contrôlés, ce qui n’empêche pas un complet sentiment de liberté, des répliques instrumentales qui fusent comme des feux d’artifice, et des valses qui ne sont qu’absolue légèreté…

Un vrai régal de bout en bout !

 

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CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre (du 13 au 27 décembre 2023). R. STRAUSS : Le Chevalier à la rose. M. Bengtsson, M. Losier, M. Petit… Christoph Waltz / Jonathan Nott. Photos © Magali Dougados.

Plus d’infos ici : https://www.gtg.ch/saison-23-24/le-chevalier-a-la-rose/

 

VIDEO : Trailer du “Chevalier à la rose” de Richard Strauss selon Christoph Waltz au Grand-Théâtre de Genève

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