dimanche 6 octobre 2024

CRITIQUE, opéra. DIJON, Auditorium (du 31 janvier au 4 février 2024). PUCCINI : Turandot. C. Foster, K. Benedikt, A. Gonzalez, M. Schelomianski… D. Hindoyan / E. Bastet.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

C’était un titre et une production attendus que cette Turandot à l’affiche de l’Opéra de Dijon (en coproduction avec l’Opéra national du Rhin), d’autant que l’ultime chef d’oeuvre de Giacomo Puccini est réalisé ici dans sa “version longue”, c’est-à-dire avec le finale original composé par Franco Alfano (que le fameux chef Arturo Toscanini avait rejeté…). Ce finale permet de mieux percevoir l’oeuvre, en jetant un éclairage plus approfondi sur la psychologie des deux principaux héros, et notamment celui du rôle-titre qui apparaît ici plus nuancé, moins réfractaire, comme si au fond d’elle, elle souhaitait la victoire de Calaf : « Il y avait dans tes yeux l’éclat des héros ! Il y avait dans tes yeux la fière certitude ! Je t’ai haï à cause d’elle, et à cause d’elle je t’ai aimé, tourmentée entre deux terreurs égales, vaincre ou être vaincue. Ah, vaincue, plus que par la grande épreuve, par cette fièvre qui me vient de toi ! »

 

 

Wagnérienne émérite (l’une des meilleures Isolde que nous ayons entendues), la soprano britannique Catherine Foster fait valoir son habituelle voix rayonnante, au timbre clair et tranchant, qui continue de franchir l’orchestre avec une facilité déconcertante, en assurant à son personnage l’autorité exigée par lui, mais avec infiniment plus de grâce et de féminité que les (rares) autres titulaires du rôle. Las, le Calaf du ténor allemand Kristian Benedikt, au physique disgracieux (renforcé par un impossible accoutrement) et au timbre ingrat, semble par ailleurs en évidente méforme et il délivre ainsi un catastrophique “Nessun dorma”… Aïe ! Mais par bonheur, c’est le seul bémol à apporter au spectacle, et avec une voix plus large que la plupart des Liù, la soprano guatémaltèque Adriana Gonzalez offre un bouleversant portrait de l‘esclave tartare, avec par ailleurs un étonnant éventail de pianissimi. Dans le rôle de Timur, la basse russe Mischa Schelomianski incarne toute la noblesse et la souffrance du roi déchu, aux côtés de l’Altoum du vétéran (et ex-ténor rossinien de légende) Raul Gimenez, soucieux de sa ligne, ce qui nous évite la traditionnelle caricature du vieil empereur à la voix fatiguée plus qu’il n’est permis. Quant au trio Ping-Pang-Pong (Pierre Doyen, Saverio Fiore, Eric Huchet), il assure tout ce qu’il faut de cocasserie et de connivence joyeuse à leur impayable numéro, qui arrive ici en trottinette et manipule tablettes et autres ordinateurs portables.   

Dirigeant pour la première fois dans la fosse dijonnaise, l’excellent chef helvético-vénézuélien Domingo Hindoyan tient à bout de bras l’ensemble de la représentation, lui insufflant une vitalité et une énergie qui circulent généreusement. A la tête d’un impeccable Orchestre Dijon Bourgogne, il coordonne également de main de maître les Chœurs conjugués l’Opéra de Dijon et de l’Opéra national du Rhin (plus la Maîtrise de Dijon). Au premier acte, les passages choraux respirent une violence élémentaire et féroce, progressivement tempérée au cours du deuxième finale pour s’achever en apothéose sur le rayonnant hymne à la lumière finale.

Enfin, la proposition scénique confiée à Emmanuelle Bastet se montre un peu déroutante en se déroulant d’abord dans la Chine d’aujourd’hui (ultra-surveillée et “fliquée”), où règne cependant un empereur bardée de médailles comme un dictateur sud-américain des années 60, tandis que le Mandarin est présenté ici comme un présentateur de télé-réalité, micro rivé aux lèvres, qui exhorte le peuple à suivre en direct sur leurs téléphones portables, les exécutions des Princes étrangers. Turandot apparaît comme une star hollywoodienne, chevelure blonde et cascadante, style Anita Ekberg, dans une deuxième acte étrangement dépouillé par rapport au premier, tandis qu’au III, seul trône un lit aux draps de satin blanc sur un plateau vidé de tout autre meuble ou accessoire (scénographie de Tim Northam). Après que Calaf lui ait arraché un baiser, Turandot part vers le fond de la scène, le laissant seul et éploré, une scène plutôt énigmatique sur laquelle s’achève un spectacle néanmoins plébiscité par un public bourguignon en liesse et manifestant bruyamment son enthousiasme !

 

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CRITIQUE, opéra. DIJON, Auditorium (du 31 janvier au 4 février 2024). PUCCINI : Turandot. C. Foster, A. Gonzalez, M. Schelomianski… D. Hindoyan / E. Bastet.

 

VIDEO : Introduction à “Turandot” (selon Emmanuelle Bastet) à l’Opéra de Dijon

 

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