Quelques jours après avoir goûté aux sortilèges de la Philharmonie Tchèque (dans la 6ème de Mahler), au 10ème Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, c’est à ceux du non moins fameux Gürzenich Orchester (de Cologne) que nous allions succomber, dans une exécution (sous format concertant) du « Vaisseau fantôme » de Richard Wagner – dirigé par le directeur musical de la magnifique phalange allemande, le chef français François-Xavier Roth. Affichée sold out, la soirée est donnée sans entracte, et pour commencer, c’est très impressionnant de voir les quelque 150 artistes de l’orchestre et du chœur (Chor der Oper Köln) investir la totalité du vaste plateau du Grand-Théâtre de Provence, où se déroulent les principaux concerts de la manifestation provençale.
Dans le rôle-titre, le baryton-basse britannique James Rutherford – s‘il maîtrise une partition admirablement travaillée et s’il domine la langue comme le style – manque cependant de la noirceur de timbre exigée par le rôle. Par ailleurs, même en l’absence de proposition scénique, on ne trouve pas grand-chose chez ce chanteur de la fatalité dont est porteur le personnage maudit, du charme trouble qui s’attache à sa présence ou encore de la sincérité qui porte sa passion. Nous attendons donc de le voir sur scène pour mieux juger, et ceux qui peuvent faire le voyage à Cologne où l’ouvrage est actuellement donné (jusqu’au 7 mai), dans une proposition scénique de Benjamin Lazar, pourront se faire une opinion.
Quant à la soprano suédoise Ingela Brimberg, révélée à nous dans ce même rôle il y a tout juste dix ans à Genève, elle renouvelle notre enthousiasme d’alors dans le rôle de la sacrificielle Senta, avec toujours son même superbe engagement vocal et scénique, et surtout un parcours jusqu’au bout sans défaillance, qui ne peuvent qu’emporter une fois de plus l’adhésion. La voix est superbement projetée, à défaut de posséder un « beau » timbre, avec des aigus toujours justes et triomphants, sans être criés, et nous nous rappellerons longtemps de sa balade hantée au II, ainsi que de son délire sacrificiel à la fin de l’ouvrage.
La basse autrichienne Karl-Heinz Lehner (Daland) offre une voix noire, pétulante de santé et toujours sous contrôle, même dans l’extrême grave, tandis que te ténor allemand Maximilian Schmitt offre au personnage d’Erik, l’élégance de son chant et la chaleur de son timbre. Enfin, le Pilote du ténor russe Dmitry Ivanchey ravit par la spontanéité et la clarté d’accent d’une voix agréablement timbrée, bien que d’un format plutôt confidentiel, tandis que la mezzo allemande Dalia Schaechter endosse les habits d’une Mary à la présence et à la solidité de chant remarquables. Le chœur enfin, remarquablement préparé par Rustam Samedov, est un pur miracle et force l’admiration par son exemplarité de puissance, de cohérence, d’engagement, d’expressivité. Le moment le plus fort de la soirée restera d’ailleurs le moment où le chœur d’hommes quitte le fond de scène pour investir le bord du plateau, à moins de deux mètres des premiers spectateurs, pour un effet spectaculaire qui prend littéralement à la gorge (chœur des marins).
Mais le principal bonheur de la soirée réside bien dans la souveraine direction musicale de François-Xavier Roth, à la fois incisive, enlevée et théâtrale ! Il sait parfaitement décanter la partition du jeune Wagner – encore fortement marquée par la fougue romantique -, la retenir ou la débrider… bref, la restituer avec un aplomb (wagnérien) stupéfiant. Il faut dire qu’il est formidablement aidé en cela par les vertus d’une phalange colognaise dont on ne peut que s’enivrer des sonorités soyeuses et s’exalter de ses fulgurances chromatiques. Et ce sont dix minutes de rappels – et une standing ovation amplement méritée – qui viennent couronner ce grand moment wagnérien !
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CRITIQUE, opéra. AIX-EN-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 10 avril 2023. R. WAGNER : Der Fliegende Holländer. J. Rutherford, I. Brimberg, K-H. Lehner… Gürzenich Orchester / F.X. Roth. Photos © Caroline Doutre
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Vidéo : Teaser de « Der Fliegende Holländer » de Wagner dirigé par F. X. Roth à l’Opéra de Cologne :