mardi 8 juillet 2025

CRITIQUE, festival. BEAUNE, Festival International de Musique Baroque (Cours des Hospices de Beaune), le 5 juillet 2025. LULLY : Proserpine. M. Lys, V. Gens, A. Bré, N. Pritchard, L. Kilsby… Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction)

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Sous la direction énergique de Maximilien Hondermarck (diplômé du CRR de Paris et du Ministère de la Culture), le Festival international d’opéra baroque de Beaune entame une ère nouvelle, alliant tradition et innovation. Hondermarck, nommé en 2024 après un concours face à 17 candidats, a su insufflé une dynamique rafraîchissante, avec l’ouverture de (nouveaux) lieux exceptionnels, telles que la Chapelle des Jacobins et la Chapelle de la Charité, qu accueillent des répertoires intimistes, complétant magistralement l’emblématique Cour des Hospices et la Basilique Notre-Dame. Organisée en week-ends thématiques (hommage à Rameau, week-end Haendel…), elle mêle jeunes talents et ensembles confirmés comme Le Poème Harmonique, Les Epopées ou encore Les Talens Lyriques, comme c’est le cas ce soir pour cette tournée européenne avec la rare Proserpine de Jean-Baptiste Lully.

 

Créée en 1680 à la cour de Louis XIV, Proserpine marque la réconciliation entre Lully et son librettiste Quinault, après le scandale d’Isis (où Madame de Montespan était caricaturée en Juno jalouse !). Inspirée des Métamorphoses d’Ovide, l’œuvre déploie une intrigue mythologique aux accents politiques : Pluton enlève Proserpine, fille de Cérès, déclenchant la colère maternelle et l’intervention des dieux. Le livret miroite d’allusions à la cour : Cérès abandonnée par Jupiter évoque Madame de Montespan délaissée pour Madame de Ludres, tandis que Proserpine forcée d’épouser Pluton renvoie au mariage imposé de la Dauphine Marie-Anne de Bavière. Lully donne ici « le premier rôle à l’orchestre » (dixit Madame de Sévigné : « Cet opéra est au-dessus de tous les autres »). L’ouvrage lullyste comporte par ailleurs le premier duo de basses de l’histoire de la musique (Pluton et Ascalaphe), symbolisant les ténèbres de l’Enfer.

Dans la Cour des Hospices de Beaune, cadre sublime classé au patrimoine de l’Humanité, Christophe Rousset a clos son Intégrale Lully en génie inspiré, dirigeant Les Talens Lyriques et le Chœur de Chambre de Namur avec une précision électrisante. Les violons ont tissé des tapisseries sonores luxuriantes (préludes envoûtants), les bassons et flûtes à bec ont dialogué avec les passions des chanteurs, tandis que les percussions ont scandé l’enlèvement de Proserpine avec une sauvagerie contrôlée. Les cordes des Talens Lyriques ont incarné les passions avec une violence inouïe – tempêtes dramatiques, plaintes des enfers, et danses célestes… – et ont enchanté un public venu en nombre de toute l’Europe…

Dans le rôle-titre, avec sa voix cristalline aux couleurs changeantes, passant de la fragilité juvénile à l’autorité de reine des Enfers, la soprano Suisse Marie Lys continue de subjuguer : son duo avec Mercure fut un joyau d’élégance. De son côté, Véronique Gens campe une Cérès impériale de douleur et de rage. Son aria « Dieux, soyez-moi favorables » a embrasé l’auditoire par ses nuances tragiques, du murmure déchirant aux imprécations fulgurantes. Le jeune ténor britannique Laurence Kilsby (Alphée) possède une voix à la suavité envoûtante, illuminant la Cour d’un timbre doré. Sa scène d’amour avec Aréthuse (Ambroisine Bré, délicieuse de fraîcheur en Aréthuse) a suscité des frissons. La basse française Olivier Gourdy (Pluton), avec sa voix sombre et profonde, incarne la puissance ténébreuse de son personnage sans caricature aucune. Son entrée en scène, portée par les trompettes et timbales, a électrisé l’atmosphère. Autre chanteur remarqué, Nick Pritchard (Mercure) a fait preuve d’une grande agilité vocale, messager volant avec une énergie aérienne. La soprano Apolline Raï-Westphal apporte une fraîcheur idéale à ses deux rôles (La Félicité, et Cyané). Tant dans son incarnation de La Discorde qu’en Crinise, Jean-Sébastien Bou campe de manière très théâtrale sa double partie, avec un timbre percutant et une présence scénique toujours aussi électrique. Son articulation mordante sert parfaitement le texte de Quinault, soulignant les tensions politiques sous-jacentes du livret. Face à lui, Olivier Cesarini (Acalaphe) paraît bien pâle et timoré vocalement parlant, tandis que David Witczak excelle en Jupiter, alternant entre la majesté foudroyante du roi des dieux (Acte V) et la magnanimité du pacificateur. Enfin, Thibaut Lenaerts – qui a la charge de la préparation des chœurs – se voit également confier (avec efficacité) un certain nombre de petits rôles complémentaires.

Cette performance clôt le cycle Lully des Talens Lyriques / Christophe Rousset à Beaune... avec un grand succès public, en témoignent des ovations aussi nourries que répétées. Et Proserpine, reine des Enfers (et désormais de nos mémoires…) y a trouvé un trône éclatant !

 

 

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CRITIQUE, festival. BEAUNE, Festival International de Musique Baroque (Cours des Hospices de Beaune), le 5 juillet 2025. LULLY : Proseprine. M. Lys, V. Gens, A. Bré, N. Pritchard, L. Kilsby… Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction). Crédit photo © Droits réservés

 

 

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