La 4ème édition du Festival International de Musique de Bragance a débuté le 1er octobre (et se poursuit jusqu’au 12), dans la ville d’art et d’histoire de Bragance (Bragança en portugais), cité patrimoniale exceptionnelle dans le nord-est du Portugal, tout proche de la frontière espagnole. Sous la direction artistique de Filipe Pinto-Ribeiro, le pianiste portugais a toujours autant à cœur d’associer de superbes lieux historiques à des programmes musicaux de haute qualité. De grands solistes et ensembles instrumentaux vont ainsi s’y succéder (soulignant l’ampleur internationale de l’événement) – comme le violoncelliste Victor Julien-Laferrière (qui viendra également comme chef d’orchestre avec son fameux Orchestre Consuelo), l’Ensemble DSCH Shostakovich, I solisti Veneti dirigé par son chef Giuliano Carella (en clôture du festival, le 12)…
Crédit photo © Andreia Carvalho
Le concert d’ouverture du 1er octobre mettait sous les projecteurs la “sororie” Samuil : Anna au chant, et sa soeur Tatiana au violon… tandis que le mari de la première, Matthias Samuil, était au piano. Les deux femmes ont enregistré ensemble un CD sous le Label Cyprès, en 2021, dans lequel les deux artistes proposaient un programme très varié (allant de Bach à Richard Strauss…), pour orchestre de chambre, soprano et violon. C’est quasi ce même programme qu’elles viennent interpréter, ici à Bragance, à ceci près que c’est le berlinois Matthias Samuil qui les accompagne au piano, en lieu et place de l’Orchestre de Chambre de Wallonie sur l’enregistrement discographique.
La soirée débute par l’air de Susanna “Deh, vieni non tardar”, extrait des Noces de Figaro de Mozart. Ce n’est peut-être pas un choix judicieux (il n’apparaît d’ailleurs pas sur le CD…), pour la grande voix lyrique de Mme Samuil, et l’air de la Comtesse aurait paru plus adapté, surtout que ce genre de tessiture met toujours du temps à “se chauffer”. Le registre grave requis par le bouleversant “Erbarme dich” (tiré de la Passion selon St Matthieu de Bach) la met ainsi plus en valeur, surtout porté par le violon douloureux de sa sœur et le piano attentif de son mari. Le pianiste reste seul pour les Lieder de Richard Strauss qui suivent (“Allerseelen” Op. 10 No. 8, “Cäcilie!” Op. 27 No. 2 et “Morgen!” Op. 27 No. 4), dans lesquels la soprano russe fait face au contrôle périlleux du souffle qu’ils exigent. Puis c’est un moment de pause pour la chanteuse, et Matthias et Tatiana délivrent une superbe “Introduction et Rondo Capriccioso » de Camille Saint-Saëns, emmenée avec détermination par la soliste, sans partition, et un pianiste en totale osmose.
Nous ne ferons pas toute la liste des oeuvres jouées, mais citons néanmoins l’air de Francesco Cilea, extrait de son opéra Adriana Lecouvreur : “Io son l’umile ancella”, qui convient à la voix d’Anna Samuil. Elle y apporte une technique impeccable, des pianissimi enjôleurs, et des messe di voce – de même que le sens des tourments et le vague à l’âme requis par cette aria. Citons également, parce qu’intéressants – et somme toute assez rares au concert -, les “Airs bohémiens” (1878) de Pablo de Sarasate (pour piano et violon), délivrés de manière hautement poétique par la violoniste qui parvient notamment à faire ressortir, sans jamais larmoyer, le caractère expressif de la première partie. Et la soirée se termine par l’air de concert “Infelice” op. 94 de Felix Mendelssohn. Dès les premières mesures, Anna Samuil y met beaucoup d’expressivité ; dans le récitatif d’ouverture, qui raconte la douleur de l’abandon, tout le corps de la chanteuse semble trembler de concert, l’artiste vivant ce qu’elle chante avec une intensité de chaque instant. On ressent du bonheur à entendre une cantatrice aussi authentiquement honnête, et on se laisse aller au charme de l’interprétation, jusqu’au questionnement final où, dans les ultimes notes de son “Queste son le speranze et l’ore liete”, la chanteuse lance un aigu si déchirant que l’on se sent subitement submergé par une grande émotion. L’espace d’une courte minute, la communion d’une musique, d’un violon, et d’une voix jaillissent dans un moment d’intense grâce artistique. Le public – venu en nombre pour une salle comble – ne s’y trompe pas, et fait une standing ovation aux trois artistes, qui les remercie avec avec un bis inattendu… le « Besame mucho » de la pianiste mexicaine Consuelo Velazquez !
Le Festival International de Musique de Bragance est loin d’être fini, et ce soir 5 octobre (au Théâtre Municpal), c’est le français Victor Julien-Laferrière qui se produit dans la cité médiévale portugaise avec son Orchestre Consuelo pour une interprétation des Symphonies N°6 et 8 de Ludwig van Beethoven. Il se produira ensuite, comme violoncelliste, aux côtés de Filipe Pinto-Ribeiro (au piano), dans des oeuvres de Beethoven et Chostakovitch, le 8 (à 21h, Eglise Santa Maria). A ne pas manquer non plus, le concert de clôture du 12 octobre qui affichera le célèbre ensemble baroque “I Solisti veneti”, dirigé par Giuliano Carella, dans leur répertoire de prédilection… Antonio Vivaldi bien sûr !
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CRITIQUE, festival. 4ème Festival International de BRAGANCE, Théâtre municipal, le 1er octobre 2024. Ana Samuil (soprano), Tatiana Samouil (violon), Matthias Samuil (piano). Photos © Andreia Carvalho.