samedi 8 février 2025

CRITIQUE, festival. 45e FESTIVAL D’AMBRONAY, Abbatiale d’Ambronay, le 5 octobre 2024. « Les 4 Saisons » de B. Marcello (à 14h30), Ensemble L’Assemblée (Marie van Rhijn, direction) / « Passacalle de la Folile » (à 21h) / Ensemble L’Arpeggiata, Philippe Jaroussky, Cristina Pluhar (direction).

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Au lendemain d’un concert mettant en exergue les Cantates pour Alto de J. S. Bach (avec le jeune contre-ténor Paul Figuier et Les Talens lyriques, dirigés par leur chef Christophe Rousset), le Festival d’Ambronay permettait à son public de découvrir un rare oratorio de Benedetto Marcello (1686-1739) faisant dialoguer Les Quatre saisons. L’œuvre est atypique à plus d’un titre, et quasi inconnue en France, en dépit d’un enregistrement épuisé de 2015 (ensemble Lorenzo da Ponte, label Fra Bernado).

 

Crédit photographique © Bertrand Pichène

 

En 1731, Il pianto e il riso delle quattro stagioni (« Pleurs et rires des quatre saisons ») est un oratorio volgare (en langue italienne) dont le livret est attribué à Giulio Vitteleschi. Les allégories des frères et sœurs saisons, personnifiées par une voix soliste, convoquent les éléments – Air, Ciel, Terre, Mer – autour de la défunte Marie dans une cosmogonie où les plantes, vents et affetti (déploration, colère, allégresse lors de l’Assomption de Marie) s’entrecroisent. Par ailleurs, la rhétorique baroque (le compositeur était aussi avocat !) scelle ces composantes sous le sceau d’une musique en perpétuelle invention. Le dynamisme, insufflé dès la Sinfonia d’ouverture se ramifie : liberté du récitatif (dont celui accompagnato), nervosité rythmique des ritournelles introduisant l’aria da capo, variété des tempi et des métriques. Tout rend compte d’un espace-temps en mouvement, quitte à inclure quelques figuralismes en rebond des vers chantés. Ainsi, les cordes « rient » avec la PrimaveraRidi, su ridi ingrato »), l’Estate mène une gigue pour figurer « Il contento e il dolore » (consentement et douleur) et l’Inverno fait crépiter la glace (« Ghiacci terni »).

Du côté des interprètes, l’exubérance du compositeur vénitien, formé par F. Gasparini, bénéficie du dynamisme de L’Assemblée, ensemble fougueusement dirigé par Marie van Rhijn depuis le banc de l’orgue-clavecin. Huit excellents instrumentistes, au jeu réactif et virtuose, entourent les quatre chanteurs solistes, également requis pour de rares chœurs (ce concert restitue une exécution partielle de cet immense oratorio). La rivalité ou la réconciliation des sœurs Saisons s’expriment par leurs airs interposés au fil de chacune des deux parties de l’oratorio. La soprano Camille Poul (l’Été) brille par son timbre riche en harmoniques et sa projection( quelques soucis avec la langue italienne) tandis que le ténor Cyril Auvity (Automne), pleinement investi, séduit par la souplesse du legato. Moins aguerris, la mezzo-soprano Marielou Jacquard (le Printemps) et le jeune baryton basse Thierry Cartier (l’Hiver) incarnent plus timidement leur rôle. Les rares ponctuations chorales sont soit percutantes (« E viva e viva »), soit d’une apesanteur angélique pour célébrer l’Immaculée Conception. Le public de l’abbatiale fait une ovation à cet oratorio, ressuscité par L’Assemblée, nouvel ensemble promu par le Centre culturel de rencontre d’Ambronay.

 

   Crédit photographique © Bertrand Pichène

 

Quelques heure plus tard, toujours dans l’Abbatiale d’Ambronay, résonnait un autre concert : « Passacalle de la Follie » avec Philippe Jaroussky, et l’ensemble L’Arpeggiata dirigée par Christina Pluhar – après avoir sorti un album homonyme. Le parcours du baroque européen au début du XVIIe siècle est savamment distillé par le contre-ténor et la cheffe Christina Pluhar dont la complicité est scellée depuis 20 ans ! Du baroque italien et français aux variations jazzy : une même virtuosité Airs de cour, Madrigaux et Danses forment le creuset du récital consacré à un XVIIe siècle plutôt méconnu, hormis des auditeurs ayant acquis l’album des artistes, paru en 2023. La thématique amoureuse relie les goûts italien, français et anglais pour les pièces vocales, tandis qu’un principe d’écriture cher au baroque (basso ostinato) rassemble les pièces instrumentales : passacaille, ciacona, passamezzo. A l’écoute, les différences entre les traditions musicales s’estompent. Elles paraissent plus le fait d’une sensibilité créatrice, ou bien d’une poésie, que celui d’un style délimitant la sphère italienne de celle française, réputée « raisonnée » à l’époque de Descartes. Or, si Luigi Rossi, actif à Naples et à Rome, fut invité à la cour de France par le cardinal Mazarin, si l’occitan Estienne Moulinié fut contaminé par l’influence italienne, le ballet de cour accueillait, de son côté, des airs dans la langue de Cervantès. Du premier (Rossi), la saynète italienne « Dormite begl’occhi » (Dormez, beaux yeux) devient l’occasion d’improvisations fantasques des instrumentistes : du baroque au jazz, avec clins d’œil (La Marche turque, La panthère rose) glissés par le facétieux cornet à bouquin. Du second (Moulinié), le Concert des différents oiseaux déroule un émouvant cantabile. Les ornements chanté y déploient la nature de leurs « voix plus divines qu’humaines ; Qui tiennent les soucis charmés » : une véritable métaphore du langage musical. Quant à la langue espagnole, acclimatée par Henry de Bailly dans “Yo Soy la Locura”, son hispanisme est appuyé par les percussions avec humour.

Du côté des poèmes, les émois de bergers et bergères forment un ensemble français diversifié grâce aux compositions de Michel Lambert et de Pierre Guédron. Quant aux passions exprimées par les madrigaux et extraits d’opéra italien, elles génèrent une expressivité tourmentée, voire pathétique (« Lasciate Averno » de Luigi Rossi) que l’instrumentarium de L’Arpeggiata fait miroiter. Les musiciens de cet octuor sont excellents sous la houlette de Christina Pluhar, au théorbe. Signalons la virtuosité du cornet à bouquin (Doron Sherwin), du luthiste et guitariste (Miguel Rincon) et les improvisations du claveciniste (Dani Espasa). Quant aux danses instrumentales de Lorenzo Allegri et de Cazzati, elles accueillent l’exubérance de chorus, à l’instar d’une formation jazz.

Le talent scénique acquis sur les scènes d’opéra et le charisme de Philippe Jaroussky sont de puissants atouts, en sus d’un timbre de contre-ténor toujours clair de contre-ténor, l’élégance de la prosodie, la finition de chaque pièce (résonance filée). Quant à la souplesse vocalique, elle fait briller l’unique pièce de Henry Purcell (« Music for a while« ) qui célèbre opportunément la puissance réparatrice de la musique en final. Ces atouts s’appuient sur la complicité de chaque instrumentiste de L’Arpeggiata. En effet, les virtuoses tissent de subtils enchaînements entre les pièces. Le tout construit peu à peu une architecture musicale qui tient le public en émoi durant 90 minutes. Sous les acclamations du public, les deux bis sont l’occasion d’intégrer au Grand Siècle deux chansons iconiques de notre temps. Avec le même raffinement qu’un air de cour, Besame mucho (Consuelo Velazquez), chanté en tandem vocal avec la gambiste Lixiana Fernandez, puis Déshabillez-moi (Juliette Greco) enflamment l’auditoire. 

Ce concert est à retrouver sur France.tv/Culturebox.

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CRITIQUE, festival. 45ème Festival d’Ambronay, Abbatiale d’Ambronay, le 5 octobre 2024. MARCELLO : « Les 4 Saisons » (à 14h30), Ensemble L’Assemblée (Marie van Rhijn, direction) / « Passacalle de la Folile » (à 21h) / Ensemble L’Arpeggiata, Philippe Jaroussky, Cristina Pluhar (direction). Photos © Bertrand Pichène.

 

 

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