vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, festival. 12ème Festival de Pâques d’AIX-en-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 13 avril 2025. Intégrale des oeuvres pour piano de Maurice Ravel, Bertrand Chamayou (piano)

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

La douzième édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence a ouvert ses portes en célébrant le piano avec une intensité rare. Après la prestation magistrale de Martha Argerich et celle moins mémorable de Rudolf Buchbinder, c’était au tour du prodigieux Bertrand Chamayou de marquer les esprits en interprétant l’Intégrale des œuvres pour piano seul de Maurice Ravel. Un défi titanesque relevé avec une grâce et une maîtrise qui ont transporté le public dans un voyage onirique de près de deux heures trente, où chaque note semblait ciselée par la main même du compositeur.

 

Dès les premières mesures, Chamayou a imposé une narration fluide, alternant avec génie les pièces brèves et les cycles plus ambitieux. Cette alternance a créé une respiration naturelle, permettant aux auditeurs de savourer pleinement chaque univers – des éclats étincelants des Jeux d’eau aux ombres mystérieuses du Gibet. La structure de chaque œuvre était restituée avec une clarté confondante : la fugue du Tombeau de Couperin gardait une transparence cristalline, tandis que l’ostinato obsédant du Gibet planait comme une menace sourde. Même les silences étaient habités, Chamayou jouant avec les nuances de fin de phrase – étirant le dernier do dièse du Menuet antique avec une suspense délicat, ou coupant net les notes satiriques d’À la manière de Borodine.

La palette sonore du pianiste était un régal pour les sens. Sous ses doigts, le piano se faisait tour à tour clavecin baroque (Prélude du Tombeau de Couperin), guitare espagnole (Alborada del gracioso), ou murmure impressionniste (Sonatine). Les harmoniques semblaient danser dans l’air, comme des échos prolongés d’un rêve. Et que dire de sa virtuosité ? Les tempi vertigineux des Valses nobles et sentimentales ou de la Toccata finale étaient exécutés avec une aisance déconcertante – à croire que l’instrument avait soudain multiplié ses touches pour répondre à son jeu étincelant.

Chamayou a transcendé la partition pour en révéler toute la dimension visuelle et narrative. Une barque sur l’océan devenait une aventure maritime où l’on sentait le balancement des vagues, tantôt lointaines, tantôt menaçantes. Les Jeux d’eau, quant à eux, transformaient la salle en un réseau de canaux sonores, entre ruissellements cristallins et cascades tumultueuses. Et qui aurait cru que Scarbo, avec ses éclats diaboliques, pourrait inspirer une chorégraphie imaginaire, tant le rythme était à la fois capricieux et irrésistible ?

Le pianiste a brillamment souligné l’essence chorégraphique de cette musique. La Pavane pour une infante défunte se balançait avec une mélancolie royale, tandis que la Forlane du Tombeau de Couperin faisait revivre les salons du XVIIIe siècle avec un élan retenu. Même dans les passages les plus abstraits, une pulsation dansante affleurait, comme si Ravel nous murmurait à l’oreille : « Ceci n’est pas qu’une note, c’est un pas de deux. »

Après cette marathon musical, Chamayou a offert en bis une pépite rare : son propre arrangement des Trois beaux oiseaux du Paradis. Loin des feux d’artifice précédents, cette mélodie dépouillée, presque chuchotée, a étreint le public d’une émotion pure. Une boucle parfaite pour clore cette soirée où le piano n’était plus un instrument, mais un passeur d’âmes. En quittant la salle, le public semblait sortir d’un sortilège – hésitant entre applaudir encore ou garder le silence pour ne pas briser la magie. Bertrand Chamayou n’a pas simplement joué Ravel ; il l’a réinventé, offrant une lecture aussi respectueuse que personnelle, où chaque détail comptait. Une performance qui restera dans les annales du festival tout autant que dans les mémoires !

 

 

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CRITIQUE, festival. 12ème Festival de Pâques d’AIX-en-PROVENCE, Grand-Théâtre de Provence, le 13 avril 2025. Intégrale des oeuvres pour piano de Maurice Ravel, Bertrand Chamayou (piano). Crédit photographique © Caroline Doutre

 

 

 

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