Très attendu, le nouveau spectacle du Ballet de l’Opéra de Paris déçoit nos attentes : l’entrée au répertoire de la Sylvia de Manuel Legris ne suscite guère les frissons espérés. Style surconvenu, donc effets attendus…, décors et costumes rien que décoratifs sans grande vision synthétique ; l’approche ne sert pas la partition de Delibes, lequel après avoir composé Coppélia (1870), livre ainsi un second ballet aussi « symphonique » que le premier (et un 2ème triomphe) : Sylvia … pour l’inauguration du Palais Garnier en 1876.
Heureusement la distribution de 2025, techniquement à la hauteur, sauve les meubles en particulier dans la fin [grand pas final plus convaincant, lui même inspiré de Lycette Darsonval et à travers elle, de… Serge Lifar]. Pour autant, la chorégraphie précédente de Neumeier reste beaucoup plus cohérente et poétique. Souhaitons qu’elle ne passe pas ainsi à la trappe et sera prochainement reprogrammée.
Illustration / photo : Sylvia de Manuel Legris (création mai 2025) – Ballet de l’Opéra de Paris – Paul Marque et Bleuenn Battistoni © Yonathan Kellerman / OnP
Certes Manuel Legris, choisi par Noureev, fut un grand danseur. Après son départ de l’Opéra de Paris en 2009, il a dirigé le Ballet de l’Opéra de Vienne puis le Ballet de la Scala de Milan. Son retour à Paris au Palais Garnier, n’est pas l’accomplissement attendu d’autant plus pour Sylvia, ouvrage clé du romantisme parisien proposé par Louis Mérante en 1876, et comme nous l’avons précédemment rappelé, premier ballet créé au Palais Garnier. La musique de Delibes, admirée à juste titre par Tchaikovsky, explique le succès de Sylvia jamais démenti. Après la chorégraphie de John Neumeier (1997, qu’a dansé Manuel Legris en Aminta en 2005), la Sylvia de Manuel Legris donc, se perd dans la relative complexité du livret inspiré de la mythologie grecque.
Suivante de Diane, Sylvia a juré fidélité à la Déesse de la Chasse. Mais le berger Aminta la trouble et remet en question son vœu de chasteté ; même Diane se languit en contemplant le corps d’Endymion (cette pensée infléchira le jugement de la déesse en fin d’action…. au profit de la nymphe Sylvia). La force du désir peut-elle bousculer l’ordre établi ? Après moult coups de théâtre et avatars divers (dont plusieurs tableaux de pure « fantaisie » exotique, propres à l’éclectisme fin XIXè), Sylvia choisit l’amour sensuel et son bel Aminta.
Le livret sous le joug de l’impérial Eros, célèbre la force des attractions, l’intensité et la toute puissance de l’amour, ce que Delibes exprime avec diversité, subtilité, et infiniment d’élégance. Suffisamment pour réunifier ce qui peut paraître décousu, voire éloigné de la mythologie romaine : la suite d’évocations folkloriques [esclaves « éthiopiennes » dans la caverne d’Orion au II ; séquences pittoresques, indienne, espagnole, pas des seclaves dans le grand divertissement bacchique du II au Temple de Diane,…]
Malgré la diversité des tableaux pourtant inscrits dans le livret et les péripéties de l’action, Legris manque de caractérisation et s’enlise dans une approche lisse, linéaire, répétitive dans le choix des (toujours mêmes) figures, sans grands reliefs dramatiques ; le chorégraphe reste à l’extérieur du conte plus ambivalent qu’il n’y paraît, monde trouble entre les bergers et les créatures de la forêt (nymphes, faunes, dryades et donc chasseresses inféodées au culte de Diane…). Y manque surtout ce lien en sous texte qui relie ou oppose les personnages et qui clarifie relations et situations. Ici, l’amour est une souffrance, un délice mortel qui blesse et afflige. Voici donc un ballet bien peu conforme et complaisant qui offre un quatuor de rôles superbes pour des solistes rompus à l’élégance acrobatique.
Mêmes les costumes et décors pourtant recrées pour cette entrée au répertoire, paraissent déjà vus et défraîchis ; au moins espérons que fabriqués dans les ateliers de l’Opéra de Paris, ils respectent la charte écologique sur le réemploi et la décarbonation [!].
Comme le ballet Mayerling (lire ci après notre compte rendu du ballet présenté en 2022), précédemment proposé, et bien conforme lui aussi, cette Sylvia ne s’affirme pas a contrario dans le sillon de l’excellente recréation de La Source de Jean-Guillaume Bart (2011, reprise en 2014), probablement la meilleure réalisation au mérite de la Maison parisienne dans son exploration chorégraphique patrimoniale. Hélas en manque de souffle poétique, de construction dramatique, d’audaces, la Sylvia de Legris semble ressusciter un âge révolu de la danse à Paris. LONDRES et le Royal ballet (dont on sait la légendaire et historique Sylvia de Frederic Ashton de 1952) réalisent une toute autre régénération de son répertoire dont témoigne entre autres le formidable Lac des cygnes toujours éblouissant et convaincant actuellement.
Danseurs irréprochables
Les danseurs, eux, s’ingénient à défendre leur partie avec art et intensité, et cette excellence technicienne [athlétique, élégante, à la fois mathématique et d’une absolue justesse expressive] réellement éblouissante… qui fait aujourd’hui le renom de l’Ecole de danse.
Sylvia enflammée et techniquement au top, Bleuenn Battistoni incarne la chasseresse, tendue et altière, ardente et curieuse, engageante et fervente, dans une suractivité gestuelle idéalement maîtrisée. Voilà une performance technique qui marie précision, naturel et expressivité. Bien que de grande classe, sa Sylvia ainsi rayonnante ne fouille en rien son rapport au désir et à la sensualité… [pourtant passionnant dans d’autres productions et chorégraphies]. Dommage. La danse ce n’est pas seulement une succession de tableaux de haute technicité : c’est aussi une situation, un drame, des sentiments, voire une métamorphose qui s’accomplit en cours de spectacle… La trajectoire de Sylvia a pourtant de quoi captiver: en elle, travaille les forces inconscientes du sentiment amoureux ; elle blesse avec son arc celui qui l’aime, Aminta (acte I) ; enlevée par le chasseur brutal Orion, Sylvia se refuse à lui et apprend ce qui sépare le désir physique, de l’amour total et respectueux ; elle remet à plat l’empire de Diane et ses suivantes chasseresses ; leur impérial maintien et leur mise à distance des hommes… tout ce que mettait en avant la chorégraphie précédente à Paris, signée John Neumeier de 1997 (en particulier dans un premier tableau pastoral et cynégétique qui savait fusionner autorité noble des chasseresses et aussi fragilité tendre de leur profonde nature, humaine). De ce point de vue, la choré de Legris nous laisse plutôt insatisfaits et frustrés, d’autant plus avec des solistes de cette qualité.
Efficaces au regard de leur apparition réduite au minimum, les Diane de Silvia Saint-Martin [hiératique et presque énigmatique],
Aminta de Paul Marque [enfin cohérent et presque superbe de profondeur dans son ultime solo, véritable apothéose et à travers lui, le triomphe d’Éros / Amour] ; l’Eros justement de Mathieu Contat s’impose tout autant par l’intégrité continue de son style et de sa présence scénique… Y compris dans sa charge plus comique en sorcier puis pirate.
On détecte une même exigence expressive chez Andrea Sarri [Orion], Francesco Mura [le chef des Faunes]… D’autant plus que dans la fosse, la direction du chef Kevin Rhodes sait explorer avec détails et souffle, les 1001 accents et nuances de la partition du génial Delibes. Reste que tant de talents sont bien peu exploités selon leur juste possibilité dans un spectacle poussif et finalement rein qu’illustratif.
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SYLVIA de Manuel Legris. Ballet de l’Opéra de Paris, musique de Léo Delibes, décors et costumes de Luisa Spinatelli.
Entrée au répertoire – Ballet en trois actes
Chorégraphie d’après Louis Mérante
Livret de Manuel Legris et Jean-François Vazelle d’après Jules Barbier et Jacques de Reinach
Avec Bleuenn Battistoni (Sylvia), Paul Marque (Aminta), Silvia Saint-Martin (Diane), Andrea Sarri (Orion), Mathieu Contat (Éros), Marius Rubio (Endymion), Francesco Mura (un Faune), Marine Ganio (une Naïade), Nine Seropian et Clara Mousseigne (deux Chasseresses), Letizia Galloni et Clara Mousseigne (deux esclaves nubiennes). Orchestre de l’Opéra national de Paris, Kevin Rhodes [direction].
À l’affiche du Palais Garnier, jusqu’au 4 juin 2025. Plus d’infos sur le site du Palais Garnier / Opéra de Paris : https://www.operadeparis.fr/saison-24-25/ballet/sylvia
TEASER VIDÉO Sylvia de Manel Legris
Variation dansée du III avec Bleuenn Battistoni (Sylvia) / Divertissement du III
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LIRE aussi notre présentation de la Sylvia de John Neumeier (1997, reprise en 2005) à l’Opéra de Paris : https://www.classiquenews.com/leo-delibes-sylvia-choregraphie-john-neumeier-2005mezzo-le-30-septembre-2007-a-20h45/
LIRE aussi notre critique du ballet MAYERLING (6è ballet de Kenneth McMillan, 1978, à l’affiche de l’Opéra de Paris, automne 2022) : https://www.classiquenews.com/critique-danse-paris-palais-garnier-le-25-oct-2022-mayerling-k-macmillan-hugo-marchand-dorothee-gilbert-martin-yates/
Créé en 1978 au Royal Ballet de Londres, Mayerling est le 6ème ballet de Kenneth MacMillan à entrer au répertoire de la Grande Boutique parisienne. Le public apprécie déjà régulièrement le très célèbre ballet « L’histoire de Manon » de ce maître incontestable de la danse britannique, avec les qualités singulières de son langage chorégraphique néo-classique, axé sur l’aspect acrobatique et l’expression dramatique des interprètes. Inspiré d’une anecdote historique, le double suicide (ou meurtre ?) de l’archiduc Rodolphe, prince héritier de l’Empire Austro-hongrois, et de sa maîtresse la baronne Mary Vetsera dans un pavillon de chasse à Mayerling, près de Vienne ; le ballet est une variation résolument moderne sur le thème de… Roméo et Juliette !
LIRE aussi nos comptes rendus et présentation du ballet LA SOURCE, recréation par Jean-Guillaume Bart : https://www.classiquenews.com/?s=la+source
Le livret de La Source, d’après Charles Nuitter, est l’un de ces produits typiques de l’ère romantique inspiré d’un orient imaginé et dont la cohérence narrative cède aux besoins expressifs de l’artiste. L’actualisation élaborée par Jean-Guillaume Bart avec l’assistance de Clément Hervieu-Léger pour la dramaturgie, rapproche le spectacle, avec une histoire toujours complexe, à l’époque actuelle et y explore des problématiques de façon subtile. Ainsi, nous trouvons le personnage de La Source, appelé Naïla, héroïne à la fois pétillante, bienveillante et tragique, qui aide le chasseur dont elle est éprise, Djémil, à trouver l’amour auprès de Nouredda, princesse caucasienne aux intentions douteuses. Elle est promise au Khan par son frère Mozdock. Un Djémil ingénu ne reconnaît pas l’amour de Naïla qui se donne et s’abandonne en se sacrifiant pour que Djémil et Nouredda puisse vivre leur histoire d’amour. La Source a des elfes, des nymphes, des caucasiens caractéristiques, les odalisques du Khan exotiques, et tant d’autres figures féeriques… Si l’histoire racontée parle de la situation de la femme, toute époque confondue, il s’agît surtout de l’occasion de revisiter la grande danse noble de l’Ecole française, avec ses beautés et ses richesses. Un faste audio-visuel et chorégraphique, plein de tension comme d’intentions. LIRE notre compte rendu complet du ballet LA SOURCE, 2014 : https://www.classiquenews.com/compte-rendu-danse-paris-palais-garnier-le-2-decembre-2014-jean-guillaume-bart-la-source-muriel-zusperreguy-francois-alu-audric-bezard-vamentine-colasante-ballet-de-lopera-de-par/
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