5ème ballet pour l’Opéra de Paris, Dante [700 ans de la mort en 2023] inspire à Wayne Mc Gregor, l’une de ses chorégraphies les mieux inspirées, ambitieuse, « The Dante Project » suit le poète Florentin à travers les 3 mondes de La Divine Comédie soit Enfer, Purgatoire, Paradis ; claire allégorie de la condition et du destin de l’humanité dans une vision christique. Voire romantique déjà comme l’indique très pertinemment le tableau de Delacroix au Louvre [La barque de Dante aux Enfers].
Cette vision anniversaire est d’autant plus revivifiée que la musique sublime du génial Thomas Adès la hisse au plus haut niveau de suggestion poétique, de caractérisation dramatique. Créé il y a 2 ans à Londres [Covent Garden, Royal BALLET 2021, dont McGregor est artiste créateur en résidence, qui est le coordonnateur artistique de la Biennale de Venise pour la danse] « The Dante Project » s’accomplit à Paris après 4 créations in loco: Genus [2007] , L’Anatomie de la sensation [2011], Alea Sands (2015) et Tree of codes [2017].
Pour les 700 ans de la mort de Dante…
Flamboyance fantastique du Dante Project
de McGregor et Thomas Adès à Garnier
L’Enfer est sans surprise, sombre caverne ample, visuellement marquée par la projection par un miroir d’une toile peinte de montagnes grises et noires, donc aux sommets inversés, où les êtres étranges tâchetés de blanc répondent visuellement au fond de scène dessiné contrasté, craie sur fond noir par la décoratrice Tacita Dean requise aussi pour les costumes (déjà vus).
Dante, Germain Louvet, fluide et svelte, suit son guide Virgile, Irek Mukhamedov, pilier solide, [maître de ballet de la compagnie McGregor].
Passent les ombres errantes, maudites, condamnées à lerrance dans les cercles infernaux sans que Dante le poète ne puisse leur venir en aide : Silvia Saint-Martin, Marc Moreau ; puis surtout le remarque duo donne composé par la relève, Guillaume Diop et Bleuenn Batistoni qui incarnent les amants assassinés, Paolo et Francesca.
Le cercle suivant est celui des suicidés perdus, âmes démunies [Didon et Enée : Hohyun Kang et Pablo Legasa] ; les haineux affrontés [Héloïse Bourdon et Naïs Duboscq] ; les devins [Hugo Vigliotti et Jack Gasztowtt] mauvais, opiniâtres…
Au Purgatoire, récapitulation d’une vie terrestre, Dante revit sa vie, enfant, adolescent, amoureux de la belle Béatrice, sa muse, son aimée idolâtrée [la nouvelle étoile Hannah O’Neill]. La séquence du duo enfantin permet aux jeunes danseurs de l’école de danse de réussir leur débuts sur scène, belle opportunité de monter sur scène, tremplin formateur… : Gauthier Millet-Maurin et Théa Katra [ Dante et Béatrice enfant] ; Loup Marcault-Derouard et Bleuenn Battistoni sont Dante et Béatrice jeunes, avec parmi les Pénitents qui les accompagnent, le flamboyant et juvénile Guillaume Diop, toujours percutant… Chaque épisode permet au chorégraphe, ce déploiement des gestes décalés, en déséquilibre ciselé qui rompt avec toute gestuelle attendue, prévisible. Sa plasticité du corps, sa façon d’exploiter au maximum l’élasticité du langage classique est porteur d’inventivité permanente et d’enrichissement dans l’explicitation de l’action.
En fosse, Thomas Adès dirige sa partition ample et fantastique aux contrastes infernaux flamboyants, aux riches tensions et confrontations qui appellent la caractérisation et le souffle halluciné ; on y détecte des crépitements orientaux, des chants hébreux (Purgatoire) … Manifestations ciselées d’une pensée poétique libre, au syncrétisme totalement assumé, équilibré, millimétré. Adès évoque aussi la quête amoureuse et tragique de Dante aux Enfers, à la recherche de son aimée Béatrice, qu’il connaît depuis leur 9 ans, et qui est morte à 24 ans, laissant le jeune homme dépossédé, détruit, insatisfait, déchiré…
De toute évidence, cette partition est aussi réussie que ses précédentes éditées chez DG Deutsche Grammophon dans un programme superlatif, soulignant l’inspiration géniale du compositeur britannique et sa maîtrise égale comme maestro (!) : LIRE notre critique du cd Adès conducts Adès, un « flamboaynt macabre » / partenariat avec le Boston Symphony Orchestra : Concerto pour piano et l’extraordinaire « Totentanz » (1 cd Deutsche Grammophon, CLIC de CLASSIQUENEWS, de mars 2020) : https://www.classiquenews.com/cd-critique-thomas-ades-concerto-pour-piano-totentanz-ades-1-cd-dg-deutsche-grammophon/
Avec le dernier volet « cosmique », le Paradis, chorégraphie et partition s’accomplissent idéalement assurant le flux souple d’une action préservée malgré le dispositif visuel imaginé par Tacita Dean [projection d’une spirale infinie qui cite la perspective vertigineuse des cercles traversés, mais au final quelque peu encombrante]…
La masse des danseurs se fait collectif noyauté, amalgame de corps en suspens, de plus en plus évanescents comme emportés, aspirés, sans pesanteur vers une résolution à la fois abstraite et céleste… Un Final digne et saisissant, en forme d’apothéose, l’évocation attendue espérée d’un dénouement dramatique de délivrance qui est aussi forte aspiration spirituelle. Car ici, Dante l’homme insatisfait, au terme de sa quête, s’est trouvé lui-même, d’autant plus apaisé qu’il a rencontré sa défunte Béatrice et semble avoir trouvé la paix dans une lumière aveuglante… Tout ce qu’exprime aussi la formidable partition de Thomas Adès.
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CRITIQUE, danse. PARIS, Opéra Garnier, le 3 mai 2023. The Dante Project.
Chorégraphie : Wayne McGregor.
Musique : Thomas Adès.
Décor et costumes : Tacita Dean.
Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris / Thomas Adès, direction. Avec les danseurs du Ballet de l’Opéra national de Paris / Photos : © Ann Ray / Opéra national de Paris
Jusqu’au 31 mai 2023, à l’affiche du Palais Garnier à PARIS :
https://www.operadeparis.fr/saison-22-23/ballet/the-dante-project
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VIDÉO : The Dante project par Mc Gregor / Thomas Adès – docu : 7mn30
VIDÉO. Germain Louvet répète le rôle de Dante :