vendredi 6 décembre 2024

CRITIQUE, danse. BORDEAUX, Grand-Théâtre (du 1er au 11 octobre 2024). A. PRELJOCAJ : « Mythologies » par le Ballet du Grand-Théâtre de Bordeaux.

A lire aussi
Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Créé en 2022, ici-même au Grand-Théâtre, par le Ballet Preljocaj et le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux, « Mythologies » est une chorégraphie d’Angelin Preljocaj pour 20 danseurs, reprise en ce mois d’octobre 2024. « Mythologies » rassemblait alors 10 danseurs du Ballet de l’Opéra National de Bordeaux et 10 danseurs du Ballet Preljocaj, mais pour cette reprise ce sont 20 membres de la seule troupe du ballet bordelais qui réactivent la pièce – dans laquelle le chorégraphe albanais explore les rituels contemporains et les mythes fondateurs qui façonnent l’imaginaire collectif : « La danse, art de lʼindicible par excellence, nʼest-elle pas la plus à même de mettre à nu nos peurs, nos angoisses, nos espoirs ? Elle stigmatise nos rituels, révèle lʼincongruité de nos postures, quʼelles soient dʼordre social, religieuses ou païennes » explique le chorégraphe. 

 

 

Rituels contemporains et mythes fondateurs

 

Crédit photographique © Jean-Claude Carbonne

 

La chorégraphie a tourné depuis 2022, et s’est ainsi enrichie au cours de ses 37 dates depuis sa création sur cette même scène du Grand Théâtre de Bordeaux dont la compagnie de Ballet s’est déjà confrontée à l’écriture d’Angelin Preljocaj en performant plusieurs ouvrages précédents : « Blanche-Neige », « La Stravaganza », « Ghost »
Grâce à la préparation des danseurs assurée par Youri van den Bosch, l’assistant d’Angelin Preljocaj, les 20 interprètes expriment tous les enjeux de chaque séquence depuis l’éveil des corps au début, ensuite électrisés par les vagues de plus en plus dynamiques et contrastées de la bande sonore composée pour le ballet par Thomas Bangalter (ex membre des Daft-Punk).

Le langage est particulièrement diversifié jouant sur les effets de symétrie en groupes dédoublés qui se répondent, ou en soulignant les effets de contrastes distinguant plusieurs solos, pas de deux… Tout œuvre pour donner vie aux héros et dieux de la mythologie : fières Amazones, naïades voluptueuses… divinités plus qu’humanisées, tels Zeus ou Aphrodite ; et, à l’inverse, figures mortelles ou fantastiques comme « héroïsées » (superbe duo Ariane / le Minotaure !…), d’autant plus sublimées sous la lumière millimétrée qui détache et sculpte chaque corps affronté. Comment ne pas faire le parallèle alors entre la scène du prédateur mi-homme mi-animal, violentant l’amoureuse de Thésée, avec les victimes de viols et de harcèlement sexuel dont la parole victimaire s’est libérée grâce au mouvement Metoo ? L’approche est d’autant plus troublante que l’interprète d’Ariane, présente depuis la création du ballet, Vanessa Feuillatte, envisage une conception de plus en plus dominatrice du personnage : beau renversement qui semble réécrire la tragédie d’Ariane.

Que l’on soit dieux ou héros, la scène en expose tensions et vertiges, l’engrenage persistant et la fatalité des violences, de sorte que toujours c’est le collectif et ses convulsions organiques qui semblent broyer chaque destin individuel, sauf peut être celui, solaire, d’Alexandre le Grand auquel Riku Ota, jeune prodige de la troupe, apporte une crédibilité saisissante (en duo avec l’impeccable Thalestris d’Anna Guého).

Anecdotique et un peu décalée dans cette fresque qui convoque les rituels ancestraux, la lutte des catcheurs au début manque de lien avec le tout. Porté par son sujet qui l’inscrit dans le souffle épique de l’histoire, entre imaginaire des légendes et guerres contemporaines, « Mythologies » exacerbe avec vitalité la radicalité physique des mouvements, assurant la cohésion organique des tableaux collectifs. Les derniers conflits qui ruinent l’équilibre de notre monde s’invitent même avec des références à l’Ukraine en guerre, ou au conflit Israëlo-palestinien, ajoutées dans cette reprise pour l’actualiser d’autant plus. Pour autant, la diversité réelle et puissante de chaque épisode a du mal à faire corps et lien avec ce qui précède et ce qui suit ; l’architecture d’ensemble peine à émerger comme une totalité, clairement structurée, qui avance et qui peu à peu fait sens.
Mais l’esthétisme et comme une sauvagerie primitive et forte, souvent admirablement composée, laissent une impression visuellement positive.

On pourra regretter également que la musique composée par Thomas Bangalter ne soit cette fois pas jouée en “live”, mais transmise par des enceintes. D’autant que la partition s’avère puissante et évocatrice, interrogeant ce qui se love dans les replis de nos existences, à travers nos idéaux et nos croyances, venant ainsi faire dialoguer les mythologies antiques avec celles de notre temps…

 

__________________________________

CRITIQUE, danse. BORDEAUX, Grand-Théâtre (du 1er au 11 octobre 2024). A. PRELJOCAJ : « Mythologies«  par le Ballet du Grand-Théâtre de Bordeaux. Photos © Jean-Claude Carbonne.

 

VIDEO : Teaser de « Mythologies » d’Angelin Preljocaj par le Ballet du Grand-Théâtre de Bordeaux

 

Derniers articles

LES SIECLES. Paris, TCE, mardi 7 janvier 2024. Centenaire Boulez 2025 (Pli selon pli), Debussy (La Mer)… Franck Ollu, direction

Grand concert symphonique et français, faisant dialoguer deux mondes emblématiques : celui de Boulez (à la fête en 2025...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img