C’est probablement la tournée avec orchestre la plus longue de la mezzo américaine. Ce concert toulousain est le 32 ème de ce concert Eden ! Dans un véritable cérémonial, bien d’avantage qu’une mise en scène, Joyce Di Donato en harmonie complète avec Maxim Emelyanichev et les musiciens d’Il Pomo d’Oro propose un voyage qui nous déconnecte du quotidien, nous fait rêver à une nature idéalisée. Dès le début assez mystérieux, la voix vient d’on ne sait où, nous séduit par un légato de rêve et un phrasé subtil. Elle reprend la ligne de la trompette dans la pièce si emblématique de Charles Ives, « The Unanswered question » . Ce début magique va nous entrainer dans ce programme construit très savamment ou alternent les moments de contemplation de la beauté renversante de la nature dans des œuvres intemporelles et le mal que nous lui faisons dans des œuvres très contemporaines. Entre les compositeurs baroques et les plus modernes, tout se passe sans heurts. C’est peut-être ce manque de contrastes en dehors du style musical qui en fait le récital le plus étrange de la mezzo américaine. Car Joyce Di Donato nous a habitués à des récitals très virtuoses, très dramatiques.
Joyce Di Donato : un envoûtant Eden
Photo : Joyce Di Donato, DR
Ce soir point de drame ni de notes virtuoses. Ce qui prime c’est une diction parfaite dans toutes les langues et un légato infini, des couleurs somptueuses et des phrasés à se damner. L’adéquation stylistique est partagée avec Maxim Emelyanichev et Il Pomo d’Oro musiciens toujours magnifiques et très engagés.
La voix de Joyce Di Donato peut se fondre dans la texture orchestrale et devenir presque inaudible comme avec une ampleur nouvelle la dominer totalement.
Le coté abscons de la scénographie indiffère car c’est la beauté des gestes de Joyce Di Donato qui reste dans le souvenir bien d’avantage que les lumières, les fumées, les cercles tournants qu’elle fabrique sous nos yeux. Tout le dispositif crée une distance entre la cantatrice et son public, elle qui dans un « simple récital » sait subjuguer chacun et mettre toute la salle dans sa poche. Et le peu de lumière sur le chef et les instrumentistes nous prive de leur vivacité comme de leur beauté expressive.
Au micro, en fin de programme et dans un français exquis, Joyce Di Donato explique son propos : nous permettre de rendre grâce à la mère nature si généreuse en beautés parfaites mais que nous ne respectons plus du tout.
Elle invite, comme elle l’a fait dans chaque ville, un chœur local pour terminer sur une note d’espoir. Le chœur d’enfant Éclats dirigé par François Terrieux, à la fin du programme, nous subjugue par une grande fraicheur et un chant harmonieux. Puis c’est une vraie osmose entre les enfants et la Diva qui semble elle-même subjuguée par l’ardeur de cette belle jeunesse.
Voilà un rêve éveillé fait d’amour et de beauté qui nous a fait oublier la réalité et espérer un avenir meilleur. Hélas les grands feux actuels au Canada et leurs fumées spectaculaires sur New York viennent ternir un peu ce beau rêve. La démarche de Joyce Di Donato reste louable et nous planterons le disque de graines à son effigie qu’elle nous a offert !
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CRITIQUE, Concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 8 Juin 2023. Éden. Charles Ives ; Rachel Portman ; Gustav Mahler ; Marco Ucellini ; Biagio Marini ; Josef Myslivecek ; Aaron Copland ; Giovanni Valentini ; Francesco Cavalli ; Christoph Willibald Gluck ; Gustav Mahler. Joyce Di Donato, mezzo-soprano ; Chœur d’enfants Éclats, direction François Terrieux ; Il Pomo,d’ Oro ; Maxim Emelyanichev, direction. Photo EDEN avec les Enfants : © Hubert Stoecklin