Dans une tournée de l’Orchestre Philharmonique de Hong-Kong (Hong Kong Philharmonic) qui donne le vertige, Alexandre Kantorow fait le tour du monde en soliste magnifique. Ce soir, à la Halle aux grains de Toulouse, le pianiste français revenait un peu à la maison. Que dire de son allure un peu plus pesante, de son sourire devenu sérieux, si ce n’est que quelque chose change, la maturité et un brin de lassitude peut être ? Une fois au piano nous retrouvons la fougue et la passion, la délicatesse de son toucher aérien, la force tellurique d’accords tonitruants.
Cet été nous l’avions entendu dans le premier concerto de Rachmaninov à La Roque d’Anthéron, et nous le trouvons encore plus extraordinaire ce soir. La forme plus libre et inventive de cette Rhapsodie sur un thème de Paganini de Serge Rachmaninov lui convient absolument. C’est incroyablement varié comme piano, c’est planant, dansant, révolté, rêveur, amoureux. Tout y est d’une vie pleine de sens. Les instrumentistes du Hong Kong Philharmonic – formidablement dirigés par le chef néerlandais Jaap Van Zweden, directeur musical du New York Philharmonic… et nommé le jour même futur directeur musical du Philharmonique de Radio France ! – sont des partenaires inventifs, nuancés et brillants. Cette pièce centrale dans le programme en est le point d’orgue, le sommet. Le pianiste flamboyant – tout sourire et très détendu – offre un bis chantant, paraphrasant l’air « Mon Cœur s’ouvre à ta voix » tiré de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns. Ce long legato associé aux ribambelles de notes perlées est un moment magique. Le public lui rend un vibrant hommage avec des applaudissements enthousiastes. Les marques de respect pour cet artiste à la carrière si considérable malgré son âge sont générales, et il vient ainsi d’être distingué une nouvelle fois aux « Victoires de la Musique Classique » ! C’est en tout cas son rapport simple et directe au public comme à la musique qui fait la qualité la plus rare de ce musicien de l’absolu que nous avons tant de plaisir à écouter. C’est probablement en concertiste que nous le retrouverons ici même à Toulouse en mai… toujours avec les Grands Interprètes. N’oublions pas le chambriste généreux qu’il est également, et la qualité si envoûtante de ses récitals de piano…
En introduction le concert avait débuté par une courte pièce du compositeur Hong-Kongais Daniel Lo Ting-cheung. Pièce dans un style plaisant, sorte d’hommage à Prokofiev et Stravinski peut être. C’est brillant, agréable, presque facile. L’orchestre sous la direction avisée de Jaap Van Zweden y brille de tout son éclat. En deuxième partie de programme la Première Symphonie de Gustav Mahler a été offerte en toute magnificence par les interprètes du soleil levant. C’est un Mahler encore retenu dans l’expression des névroses du compositeur. Cette interprétation est presque entièrement solaire. L’orchestre s’engage avec vaillance dans cette symphonie exigeante et en relève tous les défis. Tous sont impeccables de beauté sonore et de ductilité. Le chef reste hédoniste, soignant les équilibres, les nuances et livrant milles couleurs. A d’autres les vertiges d’humour noir, les sarcasmes naissants et les troubles sous-jacents. Ce beau concert a ravi le public. Et si l’orchestre a brillé, c’est bien Alexandre Kantorow qui nous a fait chavirer !
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CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 28 février 2024. Daniel Lo Ting-cheung (né en 1986) : Asterismal Dance ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Rhapsodie sur un thème de Paganini, Op. 43 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°1 « Titan » ; Alexandre Kantorow, piano ; Hong-Kong Philharmonic Orchestra ; Jaap Van Zweden, direction.
VIDEO : Alexandre Kantorow interprète la « Danse macabre » de Camille Saint-Saëns