C’est un somptueux programme, autour du centenaire du Manifeste du surréalisme qu’offre le violoniste Léo Marillier, en complicité avec le pianiste Orlando Bass. Le concert Salle Colonne est aussi la clôture du Festival INVENTIO 2024, un événement francilien fondé par le dynamique violoniste d’autant plus incontournable, qu’il ne cesse de surprendre par la pertinence et l’originalité des programmes proposés. En ouverture, d’abord de splendides acrobaties : le Faust de Gounod, revisité par Wieniawski et Ravel, dont le goût virtuose et subtil permet de mettre au grand jour des facettes touchantes de thèmes célébrissimes à travers les gestes musicaux que sont les paraphrases et transcriptions, grande spécialité des deux instrumentistes.
Inventeur et virtuose, Franz Liszt préfigure le cubisme, par son goût pour les contrastes indomptés et un aspect machiniste immuable dans ces trois pièces. Le compositeur explore les possibilités d’une musique brutale, brute, sombre, où le geste de l’interprète virtuose, d’impressionnant, se fait troublant : le duo joue trois saynètes ainsi arrangées ; en son coeur, un pari musical, une « galipette » puisqu’il s’agit d’une création commune à Orlando Bass et Léo Marillier, commande de l’édition 2024 du Festival INVENTIO (fondé par Léo M) : « Double-fil« , composée à quatre mains, par le biais d’un système où l’un finit les gestes musicaux suggérés par l’autre, comme un aller-retour qui n’est pas sans rappeler le travail à contrainte de l’OuLiPo. Gestes tout autant puisque la musique explore l’idée même du jouer-ensemble, langage autant corporel que musical unissant des musiciens. D’où le titre de « Double-fil », le fil étant celui d’un funambule. Cette création est entièrement dévouée à cet exercice, ludique mais terriblement exigeant : tisser des liens entre les œuvres, produire un fil continu comme le chant recomposé d’une unité qui se dévoile dans le jaillissement du concert, à travers et cette fois à une échelle à la fois micro (matériau musical) et macro (une pièce de 10 minutes). Pour les deux interprètes démiurges, le défi de la pièce : construire à tâtons, avec courage et sentir monter la confiance et le respect dans un univers imaginaire partagé… Sur la forme, le geste commun formule une proposition d’objet-récital évolutif, nouveau… Quoi de plus surréaliste ?… et de plus convaincant ?
Pour finir, la seconde Sonate de Busoni, elle-même futuriste, et jouée dans son intégrité originelle est un pont géant entre piano et violon ; elle affirme son imaginaire foudroyant, sublime et subtile Sonate en mi mineur d’un compositeur toujours trop peu joué. Sur le thème « arrangements et création », les deux musiciens font entendre jusqu’où des œuvres musicales appartenant à un patrimoine connu peuvent être explorées, reprises, arrangées pour « subvenir » à la nécessité de l’imagination contemporaine, en quelque sorte. Ils s’emparent avec une acuité complice et très convaincante de la célèbre « Faust Fantaisie » de Wieniawski ; y tracent ce qui pourrait être une fantaisie musicale d’aujourd’hui, avec ses croisements, ses ellipses, ses changements de ton. Y sont intégrés Ravel, Edmond Dédé, Liszt, pour faire surgir un objet musical et spirituel final, plus… halluciné, surréaliste en définitive ! Superbe engagement interprétatif.
Leurs transcriptions commises tout autant sur trois œuvres de Liszt empruntent la voie du cadavre exquis pour permettre aux deux imaginaires de cohabiter et se déployer dans les œuvres-sources. Le concert permet ainsi une expérience où « l’individualité du compositeur et de l’interprète se dissolvent dans l’œuvre » ; conjonction vivante où la musique parle autrement, avec une autorité issue d’une sorte d’inconscient collectif. Impulsif et à moitié improvisé, ce format semble être propice pour tenter de conquérir ce qui flotte dans l’air… du concert. Le spectateur abreuvé, et même enivré, est conquis.
Derrière chaque pièce, un train peut en cacher un autre, une musique peut en révéler une autre. Comme des Poupées russes, étrangement musicales. Ces réactions en chaîne active dans ce programme un jeu de cache-cache qui s’autorise des passerelles et met à jour des liens surprenants entre répertoires, entre instruments. Magistrale implication des deux instrumentistes.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Salle Colonne, le 7 oct 2024. Centenaire du Suréalisme (Festival INVENTIO 2024), « Double-fil » (création), Scriabine (Sonate n°2), Liszt, Ravel,… Léo Marillier, violon / Orlando Bass, piano.
LIRE aussi notre présentation annonce du concert « Double-Fil », création … Léo Marillier / Orlando Bass. PARIS, le 2 oct 2024 -/ Concert de clôture du FESTIVAL INVENTIO 2024 : https://www.classiquenews.com/festival-inventio-paris-salle-colonne-le-7-oct-2024/