Qu’il est bon de retrouver, presque chaque année, le Budapest Festival Orchestra accompagné de son directeur musical et fondateur Ivan Fischer. Rendez-vous dans la Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris avec deux invités de marque : Sir András Schiff et Johannes Brahms : Premier Concerto pour piano et Première Symphonie ! Il est de plus en plus rare, avec un orchestre de ce niveau, d’avoir chaque année des tournées sous la direction d’un même chef, dans des répertoires variés (pas seulement les grandes symphonies post-romantiques…). Le Budapest Festival Orchestra possède une voix qui lui est propre, une vision cohérente qui le guide vers un son distinctif, une façon particulière de faire de la musique. Cela tient bien sûr au niveau hallucinant des instrumentistes qui le composent, ainsi qu’à la longue collaboration entre l’orchestre et Ivan Fischer, fondateur de l’ensemble.
On retrouve dans ce Premier Concerto de Brahms le Budapest Festival Orchestra que l’on aime tant : couleurs, décontraction, cordes puissantes et souples… une merveille ! La sophistication du phrasé de l’orchestre sonne toujours de manière naturelle. Chaque année, le BFO sous la direction de Fischer apparaît comme l’orchestre offrant la vision la plus hédoniste de la musique. Un plaisir pris au jeu, où chaque micro-transition est abordée avec sérieux, mais présentée de manière joueuse, sublimée, et servi par un niveau de réalisation qui le place au sommet des orchestres symphoniques. Le tout est magnifiquement unifié par la personnalité d’Ivan Fischer, mêlant chaleur, générosité, honnêteté et bonté.
Sir András Schiff n’est peut-être pas le choix le plus évident pour un concerto de Brahms. Le pianiste possède l’art du storytelling : il construit ses œuvres avec soin, réfléchissant aux plans sonores, à la structure de chaque phrase musicale. L’écouter revient à suivre un professeur que l’on apprécie, dont chaque mot semble pesé et précieux. Cependant, le son de Schiff n’a jamais suscité l’enthousiasme. Il projette peu, manque parfois de densité. Ce Concerto n°1, qui appelle une puissance brute, une fougue de jeunesse – ce qu’il évoque lui-même par l’image de « Brahms sans sa barbe ». Schiff propose un piano trop limité dans sa propre esthétique, qui manque de matière pour nous amener au bord du gouffre ! L’Intermezzo op.118/2 donné en bis nous offre le Schiff que l’on veut entendre, Brahms retrouve ici sa barbe ! Un tempo allant qui enlève la sentimentalité de surface de l’œuvre, digne du conteur que l’on pourrait écouter des heures durant au coin du feu.
En deuxième partie, la Première Symphonie de Brahms. L’ouverture est telle qu’on l’attend : un souffle large, imposant mais pas violent. Le BFO propose une pâte orchestrale vivante, organique, colorée, le tout sans jamais aucune scorie : tout est balancé, pensé, mais offert si naturellement. Chaque pupitre semble être le meilleur au monde, s’assemblant pour former un orchestre d’exception, magnifiquement unifié par le geste d’un grand chef (avec, au passage, Guy Braunstein au cœur des premiers violons !). Les solos de cor et de flûte du quatrième mouvement sont immenses, s’élèvent au-dessus de l’accompagnement orchestral et des timbales, si intenses, si concentrées… quelques mesures de Sibelius perdues dans l’œuvre de Brahms. Après le violon tzigane d’un de leurs musiciens lors de leur dernière venue, le BFO revient à un de ses grands classiques : le bis en chœur a cappella ! Les musiciens se lèvent pour interpréter, sous la direction de Fischer, le Lied « Es geht ein Wehen durch den Wald ».
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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 25 novembre 2024. BRAHMS. Sir András Schiff (piano) / Budapest Festival Orchestra / Ivan Fisher (direction)
VIDEO : Ivan Fischer dirige la 3ème Symphonie de Brahms à la tête du BFO