vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 13 décembre 2024. HONEGGER : Jeanne d’Arc au bûcher. M. Cotillard, E. Genovèse, J. Dran, N. Courjal, I. Druet… Wiener Singverein / Choeur d’enfants de l’Orchestre de Paris / Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, Alain Altinoglu (direction)

A lire aussi

« Etait-ce oeuvre divine ? Etait-ce stratagème humain ? » – c’est de cette manière que le pape Pie II Piccolomini (1458-1464) qualifiait l’épopée de Jeanne d’Arc dans ses mémoires. Le Pontife était son contemporain exact, puisque né en 1405. Consignant dans ses réflexions déjà la légende de la Pucelle, Aeneas Sylvius Piccolomini plaçait l’action de la jeune femme entre la réalité et la fiction, le calcul politique et l’oeuvre pieuse. A l’égal de bien de personnages féminins de fiction, Jeanne d’Arc dépasse la réalité de son époque. Non, ce n’est pas uniquement l’image pieuse qui a été conçue en 1920, ni la bergère d’Epinal au visage en pâmoison, et surtout pas l’effigie mordorée entourée des éructations des extrémistes. Jeanne d’Arc est quichottesque dans sa geste ; elle suit un idéal, une quête bien plus grande qu’elle. Elle est sublime dans ce qu’elle devient au fur et à mesure de ses actes. Elle entre ainsi dans l’imaginaire collectif en tant qu’ancêtre directe des héroïnes de Jane Austen, Djuna Barnes et des Chicas Almodovar !

 

Outre la connotation religieuse et la foi sincère de Paul Claudel et Arthur Honegger, cet oratorio n’a pas seulement Jeanne d’Arc comme protagoniste mais également le bûcher. Sans la flamme au sens propre et au figuré, la Pucelle n’aurait pas le même impact, elle serait une martyre de plus, non pas une icône féminine. A l’image de l’interrogation double de Pie II, la flamme de Jeanne d’Arc la dévore dès son premier cri et son dernier soupir. Le bûcher de Jeanne n’est plus un dénouement mais le point culminant de son existence, le feu l’appelle depuis toujours. Cet oratorio est une partition monumentale et subtile à la fois, on aime à la parcourir comme un livre d’images. Honegger a su porter le texte de Paul Claudel dans des émotions insoupçonnées jusqu’à la fin. Le dernier silence nous consume encore plus que tout le feu de cette oeuvre, Honegger a su écrire même l’indicible et le mystère ineffable du mystique.

Jeanne d’Arc au bûcher avait déjà compté sur Marion Cotillard par le passé dans une version de concert avec l’Orchestre National de Catalogne dirigée par Marc Soustrot. Heureusement que ce concert a été fixé dans un enregistrement discographique paru sous le label Alpha. Cependant, ce soir, la divine comédienne nous éblouit par une interprétation bouleversante et subtile. Seul le jeu de Renée Falconetti dans le film de Carl Dreyer est comparable à celui de Mademoiselle Cotillard. Son interprétation dans la dernière scène nous ébahit par la force et la vérité des émotions qu’elle communique. L’apparente simplicité du texte de Claudel ne réussit son estocade qu’avec une comédienne de la trempe de Marion Cotillard. Grand diseur et comédien, Eric Genovèse est un Frère Dominique aussi touchant que sublime. Il rappelle dans le détail de ses gestes un certain Antonin Artaud dans le film de 1927. Benjamin Gazzeri et Jean-Baptiste Le Vaillant sont deux fières et belles silhouettes hiératiques et gothiques dans la narration.

Côté voix nous tenons à saluer la Vierge stupéfiante de justesse d’Ilse Earens. Avec un timbre multicolore, elle encourage Jeanne à se livrer au feu dans une myriade de nuances. Les solistes qui incarnent les divers personnages sont la fine fleur du chant français et nous émerveillent par leur interprétation. Les Wiener Singverein et le Choeur d’enfants de l’Orchestre de Paris offrent des moments de pur bonheur avec une prosodie parfaite et une musicalité à couper le souffle.

A la tête des musiciennes et musiciens de l’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, le maestro Alain Altinoglu est chez lui dans ce répertoire. Ses attaques sont vives et éloquentes. Ses tempi et ses dynamiques brossent les tableaux de Claudel / Honegger avec une force impressionnante et des teintes iridescentes. Alain Altinoglu, tel un maître verrier, a su donner vie à cet immense vitrail comme l’astre du jour qui fait danser les bleus, les jaunes et les carmins de cette belle rosace fougueuse et recueillie à la fois.

Dans son film de 1927, Carl Dreyer a laissé Jeanne d’Arc se consumer dans son brasier. La musique de Léo Pouget et Victor Alix ont su saisir la force de la flamme qui métamorphose Jeanne. Sacrifice ouranien ultime, elle en devient élémentaire. Un burin incandescent du lustre éternel du monde. Ce n’est pas pour rien que Christine de Pizan, autre étoile filante de la fin du Moyen-Âge a chanté la Pucelle dans un poème. La Cité des dames de Christine luit sous l’éclat de l’astre de Jeanne. Outre l’artifice hagiographique, Jeanne d’Arc n’a rien de la grâce des statues, elle est devenue ce feu qui brise toutes les chaînes, qui affranchit et qui dévore; ce n’est plus une sainte, c’est une passion.

 

 

 

______________________________________

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 13 décembre 2024. HONEGGER : Jeanne d’Arc au bûcher. M. Cotillard, E. Genovèse, J. Dran, N. Courjal, I. Druet… Wiener Singverein / Choeur d’enfants de l’Orchestre de Paris / Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, Alain Altinoglu (direction)

Derniers articles

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img