samedi 14 septembre 2024

CRITIQUE, concert. PARIS, Paris Opera Festival (Sainte Chapelle), le 14 avril 2023.  Récital « Femmes et pouvoirs » : Fabienne Conrad, Régis Mengus (Jean-François Boyer, piano).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

 

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la ville de Paris n’avait encore jamais accueilli de festival lyrique digne de ce nom, et c’est chose désormais réparée grâce à la société Euromusic, mais surtout à l’inépuisable énergie de la soprano française Fabienne Conrad, a qui a été confiée la direction artistique du « Paris Opera Festival à la Sainte Chapelle ». Depuis le 31 mars et jusqu’au 1er mai, sur 5 week-ends « thématiques », ce sont ainsi parmi les plus beaux gosiers de la planète qui se produiront dans le sublime cadre de la Sainte Chapelle de Paris, écrin de luxe pour des artistes de la trempe de Patrizia Ciofi, Patricia Petibon, Jodie Devos, Charles Castronovo, Marina Viotti, ou encore Jakub Jozef Orlinski – sans oublier la « patronne » elle-même, à l’affiche de quatre soirées (chaque fois en duo), dont un avec l’excellent baryton français Régis Mengus, auquel nous avons eu la chance d’assister (le samedi 14 avril).

 

Placée sous le titre de « femmes et pouvoir », la soirée est présentée par Fabienne Conrad (vêtue d’une magnifique robe rouge-passion) avec autant de flamme communicative que de didactisme, passant de la langue de Molière à celle de Shakespeare (pour le très nombreux public étranger) avec la même aisance, pour des « mises en oreille » (ce sont ses propres mots) qui permettent d’éclairer les (éventuels) néophytes sur ce qu’ils vont entendre. 

Avec beaucoup de malice et autant de sourires en coin, elle évoque le fait que la femme est quelque peu malmenée la plupart du temps dans les opéras, victimes de l’amour immodéré et de la violence des hommes (le plus souvent par des barytons jaloux !), même si ces dernières savent parfois fourbir leurs armes et prendre leur revanche, souvent par la ruse et la malice ; ainsi la pétillante Norina dans Don Pasquale, dont la soprano interprète l’air « Pronta io son… Vado, corro », où elle annonce qu’elle ne va faire qu’une bouchée de son promis du triple de son âge ! 

Plus dramatique, le duo qui suit, « Je frémis, je chancelle », extrait des Pêcheurs de perles de Georges Bizet, où Leïla avoue son amour pour Nadir à son rival Zurga, scellant ainsi le sort des deux malheureux amants. Au soprano brillant et large de Conrad répond le baryton vaillant et épanoui de Mengus : leur alliance vocale s’impose d’emblée avec cet air d’une folle intensité dramatique. 

Femme victime encore, avec l’air « Dite alla giovine », tiré de La Traviata, dans lequel Violetta se trouve sacrifiée à l’autel d’une société corsetée et hypocrite… un aria ici susurrée, et magnifiquement phrasée, qui s’avère être un grand moment d’émotion, simple et brut. De son côté, Mengus (Germont père) conduit fort bien sa voix, avec toute l’autorité morale et la noblesse de ton que requiert sa partie.

Le baryton impressionne encore plus dans l’air (en solo) « Vy mne pisali… Kogda by zizn… », d’Eugène Onéguine, où ce dernier repousse les avances de Tatiana, en dandy arrogant et désabusé, impressions que le formidable acteur qu’il est, n’a pas de peine à rendre, tandis que la voix convainc par la beauté du timbre et la conduite de la ligne. Il surprend également dans un superbe Air à l’étoile (« O du mein holder Abendstern ») de Tannhaüser de Wagner, dans lequel il sait distiller une émotion pure et sincère, dans un répertoire où l’on ne l’attendait pas forcément, avec une diction de la langue de Goethe par ailleurs des plus appréciables ! 

Mais la soprano a également droit à des airs soli, à commencer par l’un des ses chevaux de bataille et air signature, le sublime « Casta Diva » (Norma de Vincenzo Bellini). La voix à la fois douce et corsée de Conrad, son élégance et même sa beauté, s’emparent de ce chant extatique et ensorcelant avec une admirable suavité, dont l’aigu final émis pianissimo lui vaut un tonnerre d’applaudissements de la part d’un public venu en nombre se recueillir dans l’un des plus beaux édifices de la Capitale. 

La soirée s’achève sur la « mort de Scarpia » (Tosca de Puccini), où les deux chanteurs accompagnent le geste à la parole, en jouant une scène d’affrontement : les yeux révulsés de Conrad et les râles d’agonie de son partenaire ne manquent pas de faire leur effet !

 

Ce dernier air est aussi l’occasion, comme le fait remarquer la chanteuse dans son propos d’avant concert, pour leur excellent accompagnateur, le pianiste Jean-François Boyer, de marquer les esprits dans la partie introductive et conclusive de cet air, jouée avec une intensité dramatique particulièrement poignante. Il se révèle ainsi être bien plus qu’un partenaire, mais une cheville ouvrière si précieuse, par sa musicalité et sa précision. En guise de bis, les trois compères offrent à un public enthousiaste une note plus légère avec le délicieux duo de Papageno /Papagena (La Flûte enchantée de Mozart).

 

Le 4ème week-end du Paris Opera Festival – intitulé « Dames et Rois : Echiquier de genres à l’opéra » – a débuté le 20 avril, avec un récital réunissant Fabienne Conrad et la mezzo franco-brésilienne Yete Queiroz (accompagnées par un trio violon / alto / violoncelle). Le samedi 22, c’est la basse Frédéric Caton qui interprètera un florilège d’airs « de Roi et de Démons », tandis que le dimanche verra le retour de Régis Mengus face au ténor toulousain Kévin Amiel, dans un programme intitulé « Frères amis, frères ennemis ». Enfin, le lundi 24 avril, le contre-ténor français Théophile Alexandre se produira aux côtés du Quatuor Zaïde pour interpréter leur disque « No(s) Dames« , un « hommage dégenré aux héroïnes d’opéra » ! (Lire ici la critique enthousiaste de notre confrère Sabino Pena Arcia / PARIS, Trianon, le 12 avril 2023).

 

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Paris Opera Festival (à la Sainte Chapelle), le 14 avril 2023.  Récital « Femmes et pouvoirs » avec Fabienne Conrad et Régis Mengus (+ Jean-François Boyer au piano). Photos (c) Antoine Monfajon

 

VIDÉO : Fabienne Conrad chante « Casta Diva » de Bellini aux Chorégies d’Orange

 

 

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