Si la ville de Marseille ne possède pas la riche offre musicale de Lyon, c’est sans compter sur la précieuse contribution de Marseille Concerts, association fondée en 1986 à l’initiative de Marcel Paoli, adjoint à la culture de Jean-Claude Gaudin à l’époque, et de Jean-Robert Cain, son premier président. Aujourd’hui, c’est Karine Fouchet qui préside à sa destinée (depuis la saison dernière), qui a eu l’excellente idée de faire appel au néo-marseillais Olivier Bellamy comme directeur artistique. Et c’est d’ailleurs lui qui joue les maîtres de cérémonie ce soir, avec sa faconde et jovialité coutumières, pour ce concert en hommage à Francis Poulenc – dont on fête le 60ème anniversaire de la disparition -, et c’est cette fois dans la belle salle du Théâtre national de La Criée (dont Robin Renucci vient de prendre la tête) que se déroule l’événement, parmi tous les lieux d’accueil de Marseille Concerts (Auditorium du Pharo, Grand Foyer de l’Opéra Municipal, Eglise des Réformés etc).
On pouvait faire confiance à l’impressionnant “carnet d’adresses” d’Olivier Bellamy, après ses longues années passées à Radio Classique (entre autres…), pour que la fête soit belle, et que la liste des artistes venus célébrer la musique de Poulenc – “entre amis !” – soit prestigieuse. De fait, la soirée débute sous les meilleures auspices avec Juliette Hurel, flûtiste solo de l’Orchestre de Rotterdam, pour une exécution de sa Sonate pour flûte et piano, avec au piano le jeune et talentueux Ismaël Margain. Le thème introductif de la Sonate de Poulenc fait partie de ces mélodies qui rentrent comme par effraction dans l’inconscient et dont on n’arrive plus à se débarrasser, surtout quand on entend le raffinement du jeu et la pureté du son de Juliette Hurel. L’on en vient même à préférer au premier mouvement la Cantilena suivante, interprétée avec une telle retenue dans l’émotion qu’elle ferait pleurer les pierres.
On reste dans l’émotion avec l’arrivée, ensuite, de l’immense Dame Felicity Lott dont on sait l’amour viscéral qu’elle entretient avec la musique française, et notamment celle de Jacques Offenbach. Mais c’est ici les fameux textes de Jean Anouilh et de Jean Cocteau – “La Dame de Monte-Carlo” et “Les Chemins de l’amour” – qu’elle vient défendre, avec tout le chic qu’on lui connaît, faisant un sort à chaque mot avec gourmandise et brio. Et qu’importe si le vibrato se fait désormais un peu plus présent que permis, et que les notes les plus périlleuses sont chantées pianissimo, elle reste une conteuse hors-pair, avec une merveilleuse intelligence du texte, et un talent qui continue d’emporter le public avec elle. Elle est formidablement aidée par Ismaël Margain, par la clarté des textures, la structuration des phrasés, et le foisonnement des couleurs qui surgissent de son instrument.
La fabuleuse musique de chambre de Poulenc (Sonate pour hautbois et piano et Sonate pour clarinette et piano) est également superbement servie par le hautboïste Armel Descotte et le clarinettiste Amaury Viduvier. Dans la deuxième pièce, le duo aborde avec beaucoup de goût le premier mouvement, lui conférant toute l’ambiguïté qui convient, entre gaieté apparente et mélancolie, la romance médiane étant proche de la blessure et l’Allegro final faisant semblant de tout oublier !
Clou de la soirée, une inénarrable Histoire de Babar contée par l’ancien “Deschiens” François Morel. Son charme inclassable, plein d’humour et de clins d’œil, appartient peut-être à une autre époque mais l’ouvrage demeure indémodable. Sous les doigts du pianiste, la tendre partition de Poulenc épouse des timbres colorés mais aussi des sonorités pleines, tandis que François Morel, maître dans l’art du récit, capte l’attention de tous… et notamment la curiosité des plus petits qui sont venus en nombre avec leurs parents, et dont les cris de joie sont le champagne qui clôt la soirée.
De nombreux concerts vont continuer d’émailler la saison de Marseille Concerts, dont on peut retrouver la programmation ici !
________________________________________________
CRITIQUE, concert. MARSEILLE, Théâtre national de la Criée, le 6 novembre 2023. POULENC : œuvres vocales et instrumentales. I. Margain (piano), J. Hurel (flûte), A. Viduvier (clarinette), A. Descotte (hautbois), Dame Felicity Lott (soprano), F. Morel (récitant) / Olivier Bellamy (présentation).
VIDEO : Dame Felicity Lott chante “Les chemins de l’amour” de Poulenc