En attendant la livraison, en début d’année prochaine, du centre culturel « La Cité Bleue », nouvelle structure culturelle destinée, à Genève, à promouvoir « tous les arts », dixit son directeur général et artistique Leonardo García Alarcón, ce dernier propose une première saison « hors les murs » (nommée « Les Constellations ») qui se déroule dans 9 lieux insolites de la cité de Calvin – avec pas moins de 19 spectacles, répartis sur sept week‑ends, de mars à novembre 2023.
Jérusalem
sublimée par La Tempête
Au lendemain d’un premier concert dirigé par le Maître de cérémonie, et consacré à la ville de Rome (ou plus exactement à la polyphonie romaine), c’est à la ville trois fois millénaire « et trois fois sainte » : Jérusalem, qu’était dévolu le 2ème des 17 concerts que comptera donc cette première saison 2023. Et c’est l’Église Sainte-Thérèse, monument Art-Déco sis dans un des quartiers cossus de la ville, qui a été retenue (après l’insolite Cité universitaire de Genève, la veille) comme lieu de célébration – pour un des spectacles-phares du génial Simon-Pierre Bestion, ici à la tête de sa fabuleuse Compagnie vocale et instrumentale « La Tempête ».
Si la musique et le chant sont bien évidemment essentiels, dans ce concert initialement conçu en 2019 pour le Festival de Saint-Denis, l’originalité des spectacles imaginés par Simon-Pierre Bestion se trouve autant dans la scénographie et le déroulé des concerts que dans leur contenu. Une fois encore, son ensemble a ébloui et fasciné, en se mouvant dans l’église et parmi l’auditoire, tout en chantant, pour mieux l’envelopper dans la musique et le plonger dans l’émotion. L’aspect scénographique n’a pas non plus été oublié, avec ces ampoules longilignes placées sur des piques et disséminées au milieu de l’orchestre (des créations lumières assurées par Marianne Pelcerf), ainsi que des projections de textes en hébreu et en arabe sur les parois hautes de l’édifice religieux, réplique d’une basilique romaine, mais à l’aune des années 30, avec son plafond en bois et ses superbes vitraux latéraux.
C’est dans cette configuration que s’élèvent tour à tour les voix hypnotiques du chanteur libanais Georges Abdallah, au timbre clair et mélismatique, et de la très expressive mezzo bulgare Milena Jeliazkova, en solo ou mêlées à celle du chœur, qui chante ici (en bourdon ou en répons) dans pas moins de douze idiomes différents, pour ce « grand rituel vocal » destiné à rassembler les peuples, dans une vraie ferveur humaniste. Les trois religions monothéistes se croisent et se répondent harmonieusement et pacifiquement à travers des chants à la gloire de Jérusalem, tous emplis d’amour, de mystère, et de spiritualité. Ainsi se répondent et s’entrelacent, le plus harmonieusement du monde, un chant byzantin et un psaume en allemand de Schütz, un autre en hébreu de Salomone Rossi et un poème en arabe de Zad Moultaka, ou encore une Lamentation en latin de Robert White et une chanson d’amour libanaise d’Assy et Mansour Rahbani…
La diversité est aussi celle des instruments utilisés par les musiciens, souvent rares ou exotiques, tel le « serpent » ou le « duduk », cornet à bouquins et autres percussions variées, là aussi joués depuis différents lieux de l’église pour un effet de spatialisation du son, et donc d’immersion pour l’auditoire. Simon-Pierre Bestion dirige parfois ses musiciens avec un instrument percussif en main, de manière toujours concentrée et fervente ; il convie les spectateurs, pendant la dernière pièce chorale – un Chant de procession pour St Jacques de Compostelle, « Dum pater familias », extrait du Codex Calixtinius – à le suivre jusqu’à l’extérieur de l’église, pour un dernier moment de communion fraternelle au travers de la musique. Le public en redemande et c’est dans la joie générale, dehors et malgré le froid, que se termine cette expérience unique que constitue un concert réalisé par Simon-Pierre Bestion et sa fabuleuse « Tempête » !
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CRITIQUE, concert. GENEVE, église Sainte-Thérèse, le 26 mars 2023. « JERUSALEM » : « Voyage temporel et géographique » à travers des pièces vocales et instrumentales liées à la ville « trois fois sainte ». Compagnie vocale et instrumentale « La Tempête », Simon-Pierre Bestion (direction). Photos (© Adrien Buchet)