Après plusieurs programmes hautement symphoniques comprenant Chausson, Beethoven et Schubert (splendides partitions du Romantisme français et germanique), le chef Nicolas André, fondateur du Festival d’Arromanches, poursuivait d’honorer sa passion pour les formats d’envergure ; soucieux de concilier détail, construction, souffle… il dirigeait en conclusion du 15è Festival d’Arromanches, « son » orchestre, composé d’instrumentistes chevronnés, familiers des approches historiquement informées. Une phalange aux qualités musicales indiscutables que la promesse de programmes originaux et cohérents stimule au plus haut point.
Aucune partition n’est plus écoutée, jouée, populaire que le Requiem de Mozart ; tant de fois entendu au concert ; à tel point que l’on croit tout en connaître ; cependant, ce soir dans l’église Saint-Pierre d’Arromanches (aux proportions idéales néo gothiques), où Gabriel Fauré créa l’un de ses motets (O Salutaris pour baryton, été 1878), Nicolas André a dévoilé une version surprenante, historiquement avérée. Avant que Süsmayr ne complète la partition laissée inachevée par Mozart (après les 8 première mesures du Lacrimosa), Constanze sa veuve, organise une célébration pour son défunt mari, début 1792, en compagnie des proches dont Shikaneder, le librettiste de La Flûte Enchantée… Des pages du Requiem furent ainsi jouées dans l’intimité du cercle familial et amical – plus comme une célébration hommage qu’un concert traditionnel. C’est dans l’esprit d’une communion célébrant la mémoire du défunt, plutôt qu’un énième concert, que le chef a construit (et dirigé) le programme.
A Arromanches,
un fabuleux Mozart fraternel et historique
sur instruments d’époque
Pour se faire, pour réaliser cette réunion intimiste, Nicolas André, ex assistant de Kent Nagano, regroupe les instrumentistes autour de lui, en un cercle ouvert dont il occupe le centre. En outre, il place les 8 chanteurs à jardin et à cour ; ainsi que les deux joueuses de cors de basset, derrière lui, pavillon vers la nef, et donc dos aux spectateurs… Une configuration inouïe qui pourtant diffuse un son ample et riche, détaillé et harmoniquement profond dont les basses colorées s’insinuent et résonnent remarquablement, incarnant comme jamais, la vibration et l’ampleur grave voire lugubre de cette fameuse colonne d’harmonie qui est propre au rituel maçonnique et que Mozart, membre de loges, intègre non sans pertinence (lui aussi) dans son Requiem.
Telle référence à la Franc-maçonnerie est d’autant plus soulignée que prélude au Requiem, chef et orchestre jouent d’emblée la marche funèbre maçonnique en ut mineur k 477 (« Maurerische trauermusik, 1785), immersion immédiate dans les profondeurs de l’âme, dans l’essence du questionnement sur la mort, et qui sonne comme l’emblème sonore de toute la soirée (la pièce fut d’ailleurs composée pour célébrer la mémoire de deux frères de loge).
La vibration sombre mais tendre du cor de basset exprime au plus juste ce sentiment de communion fraternelle, de conscience d’une égalité face à la mort qui dictant aux hommes, le sens à donner à la mort (le repos éternel) suscite le bénéfice et l’obligation du partage et de la fraternité. C’est cela que nous écoutons ce soir, dans un dispositif inouï et une réalisation à la fois sonore et esthétique, totalement convaincante. D’autant que l’acoustique de l’église, toute en longueur, ne peut guère accueillir plus de 250 personnes (intimisme préservé donc) comme elle amplifie naturellement le son, conférant aux seuls 8 chanteurs du chœur, une ampleur spectaculaire.
La direction comme la conception du programme convainquent particulièrement. Ils sont même d’une rare pertinence : la fougue du maestro, son entrain, la précision de sa gestuelle conduisent et portent tout l’orchestre qui l’entoure, obtenant des musiciens de superbes contrastes et des nuances quasi enfiévrées qui s’avèrent fructueuses dans les passages les plus dramatiques et les plus denses ; l’humanité des chœurs exprimant sur un rythme des plus allants, l’urgence du salut, l’espérance de la sérénité finale ; pour autant, ciselant l’architecture de tout le cycle, le chef veille aussi à la clarté polyphonique, la structure du contrepoint, affirmant là aussi d’une manière inédite combien Mozart retrouve la science et ce naturel majestueux des constructions de Bach et de Haendel ; soulignant combien le Requiem de Mozart regarde surtout vers le premier XVIIIè Baroque. C’est le cas de l’Hosanna du Benedictus, comme la dernier tableau choral – après que la soprano ait énoncé le Lux Aeterna : formidable course collective dont Nicolas André fait une ascension chorale et orchestrale superbe et lumineuse, d’une spiritualité exclamative.
Esprit affûté et pertinent comme on a dit, Nicolas André ajoute entre les pièces liturgiques, plusieurs morceaux de Mozart, dont l’Antiphone « Quaerite primum regnum Dei », œuvre de jeunesse composée à Bologne propre aux années 1770 ; mais aussi deux canons ; le premier chanté à deux sopranos est une véritable guirlande de roses vocale (« Lacromoso so io »… de fait réalisé juste après le Lacrimosa) ; le second canon, est joué par l’harmonie des bois : les 2 cors de bassets et les 2 bassons, « Nascoso è il mio sol » (ainsi intercalé entre le Benedictus et l’Agnus Dei) : l’air prolonge et approfondit tout le cycle musical, harmoniquement proche de tout le Requiem ; sa douceur introspective saisit tout en permettant de goûter davantage, le sublime velours grave et lugubre, tendre et enveloppant des cors de basset… écho recueilli, méditatif, apaisé au K 477 d’ouverture (majestueux certes mais aussi plus inquiet).
Le plateau des 4 solistes se fond idéalement au noyau impétueux et orfévré de l’orchestre (Recordare, Benedictus) : se détachent en particulier le ténor Julien Behr et la mezzo Anaïk Morel dont la voix est aussi ample et veloutée que les cors de basset,. Tout en réalisant une lecture aussi personnelle que puissante du Requiem, – d’autant plus pertinente qu’elle est historiquement légitime, Nicolas André sert son dessein : réaliser une célébration fraternelle en hommage à Mozart. Pari tenu et totalement réussi. Preuve qu’il n’y a pas que les grands centres urbains pour se délecter des orchestres sur instruments d’époque. Arromanches a ce luxe enviable de retrouver chaque été son fabuleux orchestre, dirigé par Nicolas André natif du pays, dans des programmes particulièrement fouillés et convaincants. A suivre.
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CRITIQUE, concert. ARROMANCHES LES BAINS, dim 21 juillet 2024. MOZART : Requiem – Soprano, Marion Tassou – Mezzo-soprano, Anaïk Morel – Ténor, Julien Behr – Basse, Paul Gay – Chœur et Orchestre du Festival – Nicolas André, direction.
LIRE aussi notre présentation du concert REQUIEM de MOZART par Nicolas André au festival d’Arromanche, le 21 juillet 2024 : https://www.classiquenews.com/festival-darromanches-mozart-requiem-dim-21-jil-2024-18h-orchestre-du-festival-nicolas-andre-direction/