TRANSFORMATION… L’EXPÉRIENCE MUSICALE À GSTAAD. Plus engagé que jamais pour sa durabilité et la réduction progressive de son empreinte carbone, le Gstaad Menuhin Festival sous l’impulsion visionnaire de son directeur artistique Christoph Müller, poursuit son offre musicale critique, certains diront militante, dont l’exigence du sens accordée à l’excellence artistique produit un nouvel accomplissement significatif.
Ce soir, dans l’église historique de Saanen, vaisseau devenu légendaire car Yehudi MENUHIN décida ici même de la création du Festival en y donnant ses premiers concerts, le bouillonnant directeur, véritable catalyseur culturel, a trouvé en Patricia Kopatchinskaja, une ambassadrice de choix : artiste complète, habitée comme lui par la passion de la musique et conceptrice de programmes aussi forts, engagés que personnels.
MUSIC FOR THE PLANET BY PATRICIA KOPATCHINSKAJA
Tous ses concerts au Gstaad Menuhin Festival illustrent ainsi un nouveau cycle emblématique intitulé « Music for the Planet« . Après l’inoubliable concert « Les Adieux » en 2023, après un premier programme 2024 soulignant avec la complicité d’Anastasia Kobekina, le cas inquiétant de Venise qui meurt de la lente montée des eaux et de la pression touristique terrifiante, voici donc un nouveau spectacle intitulé « temps et éternité« .
Moins concert habituel qu’expérience musicale et même cheminement spirituel, le format proposé suscite par ses contrastes et sa construction, d’impérieux questionnements sur le sens de nos vies, la place que nous souhaitons occuper sur cette terre : vie et mort, destruction et violence ou renaissance et espoir…
L’interrogation philosophique est magistralement posée à travers la seconde partie précisément où dans une succession géniale qui alterne séquence de Frank Martin et chorals de Bach [ceux de la Passion selon Saint-Jean, transposés pour orchestre de cordes], la violoniste éruptive et incandescente comme à son habitude, exprime les divers épisodes de la Passion christique dont chaque choral par sa douceur poétique semble réaliser le commentaire méditatif.
L’expérience de la souffrance la plus intense aiguise la conscience ; tout en l’exprimant directement, la violoniste la dénonce et exhorte à agir pour la réparer. La musique transforme ; elle peut réveiller les consciences et conduire à agir. Le message est clair.
UNE EXPÉRIENCE CATHARTIQUE ET RÉSILIENTE DE LA SOUFFRANCE
Grand admirateur des Passions de JS BACH, Frank MARTIN a composé pour Menuhin, le cycle Passion comme un grand concerto pour violon en 1973.
On passe des stridences âpres et hurlantes à la tendresse apaisée réparatrice ainsi, en une alternance hypnotique. Ce balancement produit un polyptique musical qui saisit et bouleverse. Dans « Crux » de Lubos Fisher [mort en 1999], l’acmé est atteinte dans le duo formé par la violoniste totalement enivrée, abandonnée et réceptive à l’extrême souffrance, et le percussionniste (Pascal Viglino) qui assène des coups de timbales de plus en plus meurtriers, comme ceux d’une lente et progressive exécution, chant embrasé d’une inéluctable mise à mort ; le tout sur l’image projetée de la Crucifixion. En soutien iconographique au polyptique musical, le programme intègre la projection des peintures de DUCCIO di Buoninsegna, actif au XIVè en particulier à la Cathédrale de Sienne. La sensation visuelle et musicale ressentie
restera mémorable.
En première partie, Patricia Kopatchinskaja aborde avec ses complices de la Camerata de Bern, totalement connectés au moindre battement de ses cils, le vertigineux Concerto « funebre » du munichois Karl Amadeus Hartman [1905 – 1963], fulgurant, convulsif, dont les solos de violons, déchirants, hallucinés… appellent au réveil des consciences tout en exprimant des élans touchés par la grâce [Adagio], et les affres les plus douloureux du désespoir. Humanité et barbarie, tendresse et ignominie… Artman qui a composé son Concerto en 1939 pour dénoncer les pires atrocités nazies commises contre l’humanité, ne pouvait trouver meilleurs interprètes.
L’INCANDESCENT CONCERTO FUNEBRE DE KA ARTMAN
L’extraordinaire se produit sous l’archet et la vitalité électrisée de sa main gauche ; tout en faisant littéralement pleurer son violon, la musicienne prophétesse comme transfigurée par cette « musique de deuil » , rayonne d’une beauté grave dont la clairvoyance qui jaillit alors de son instrument, foudroie par sa justesse. Patricia Kopatchinskaja souhaite adresser un nouveau message : l’intensité du jeu, la force et la rage qui s’en dégagent aussi, évoque au cœur du programme, entre gravité et conscience, chaque instant essentiel où « tout bascule » … Si le Concerto d’Hartman brûle comme un brasier dans la nuit, il nous fait voir par cet éclat lacrymal, l’atrocité humaine au plus près ; en l’exprimant ainsi il l’a dénonce, ce que fait Patricia Kopatchinskaja, et avec quelle musicalité.
Comme on l’a vu l’an dernier à Gstaad [sous la tente dans le programme Les Adieux, adieux aux espèces animales, à leur extinction programmée désormais inéluctable], voici un autre programme qui renouvelle totalement le concert traditionnel, en joignant avant et après Hartmann, des chants traditionnels chantés par un trio de femmes en costumes traditionnels accompagnée par l’accordéon… Référence à une approche paysanne probablement chère à la violoniste moldave, où l’homme savait communier et vivre de la nature sans l’épuiser comme actuellement.
La musique par le truchement d’un enchaînement parfait évoque ainsi la perte d’un monde harmonieux, l’empire de la violence omniprésente, inévitable… La volonté forcenée de vaincre souffrance et barbarie : conscience et résilience, clairvoyance et responsabilité… Le programme et son message diffusent le meilleur des rôles que la musique peut revêtir et que le thème générique de l’édition 2024 expose ainsi clairement : la transformation. Qui peut dire si parmi les festivaliers, certains auront été transformés en écoutant dans ses enchaînements surprenants ce programme parmi les mieux conçus ? MAGISTRALE expérience et certainement aussi prenante que le programme précédent auquel nous avons assisté lors de l’édition 2023 (1).
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CRITIQUE, concert. 68ème GSTAAD MENUHIN FESTIVAL & ACADEMY, Saanen le 10 août 2024. » Temps et éternité » : KA Hartman, Martin, JS Bach… , Camerata Bern, Patricia Kopatchinskaja. Toutes les photos : © Raphaël FAUX / Gstaad Menuhin Festival & Academy 2024
(1) Lire notre critique du concert Les Adieux par Patricia Kopatchinskaja, Gstaad Menuhin Festival & Orchestra, le 12 août 2023 : https://www.classiquenews.com/critique-concert-gstaad-menuhin-festival-le-5-aout-2023-les-adieux-patricia-kopatchinskaja-beethoven-schumann-chostakovitch-music-for-the-planet-i/
https://www.classiquenews.com/critique-concert-gstaad-menuhin-festival-le-5-aout-2023-les-adieux-patricia-kopatchinskaja-beethoven-schumann-chostakovitch-music-for-the-planet-i/
68ème GSTAAD MENUHIN FESTIVAL & ACADEMY, jusqu’au 31 août 2024 : https://www.gstaadmenuhinfestival.ch/fr/programme-and-location/programme-2024/liste-des-concerts?gad_source=1&gbraid=0AAAAADLwA8MuGPHGLvqDdctnv_l9f8qnj&gclid=EAIaIQobChMIwZ2-7LPyhwMVbK1oCR3v_i1dEAAYASAAEgL8YvD_BwE
LIRE aussi notre présentation du 68ème GSTAAD MENUHIN FESTIVAL & ACADEMY : » TRANSFORMATION » / temps forts, nouvelles séries, engagement pour le climat, teaser vidéo 2024, … : https://www.classiquenews.com/suisse-68eme-gstaad-menuhin-festival-academy-transformation-12-juillet-31-aout-2024/
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