Quelle soit propre au folklore familier européen, ou d’inspiration plus exotique (ici jusqu’en Argentine), chaque musique dite savante gagne à puiser dans les cultures populaires, à cultiver les métissages et l’aventure de la curiosité comme de la rencontre. Le pittoresque voire le fantasque, la danse et ses rythmes assumés, et aussi le retour aux sources – sorte de mélancolie salvatrice, dans le cas de l’argentin Ginestera se révèlent particulièrement stimulants.
Les deux musiciennes dont le compagnonnage remonte à deux décennies déjà, s’entendent à merveille, dans la finesse, la mesure, la flexibilité et l’élégance d’une expressivité techniquement surmaîtrisée, musicalement précise et raffinée.
La transcription des 7 mélodies populaires espagnoles pour violoncelle et piano (De Falla) regorge de vitalité ardente, de contrastes, avec des cadences rythmiques, des lignes ornementales intensément ciselées et légères.
La féerie slave de Pohádka (un conte) de Janácék (1910), lui-même enchanté par les légendes et motifs de Moravie, conquiert d’autres ambiances, plus oniriques encore, entre narration et évocation (la pièce s’inspire aussi d’une légende russe : l’histoire du Tsar Berendei) – fidèles à Janacek, les 2 musiciennes mêlent avec un génie de la synthèse : mélodie, rythme, harmonie.
Même intensité « populaire » des Schumann (5 pièces dans un style populaire, 1849), avec la nuance d’une sincérité immédiate et l’authenticité des chants populaires. Le jeu du duo éclaire la simplicité et le charme de mélodies touchantes (avec refrains) en particulier la berceuse (2è pièce), référence à la vie familiale heureuse du couple Fanny et Robert Schumann, alors au comble du bonheur (fugace).
Le sommet du programme demeure la Sonate pour violoncelle et piano de l’Argentin Alberto Ginastera (1979), déjà exilé en Suisse mais dont la nostalgie des racines natales paraissent vivaces dans une partition qui évoque là encore un épisode heureux dans sa vie personnelle (atmosphère amoureuse clairement annotée dans le mouvement lent : le compositeur a épousé la violoncelliste Aurora Natola). Le climat genevois inspire une pièce forte, rythmiquement marquée, vive, contrastée (carnavalito du Finale). Il fallait attendre la mort du compositeur (2009) pour que d’autres violoncellistes ait le droit de jouer cette pièce estimée par la violoncelliste comme son exclusive.
Enfin, tout l’esprit de la danse hongroise (virtuosité tzigane) explose littéralement dans la Rhapsodie de Daniel Popper (1894) dont la pulsion constante approche la liberté d’un geste improvisé, celui des violoneux qui font danser les villageois de fêtes en fêtes.
Le feu complice des deux musiciennes assure évidemment la réussite du programme, réalisé en pleine pandémie de covid19. Les 2 voix instrumentales se répondent dans la finesse et l’élégance ; une entente qui permet d’exprimer chaque nuance avec une précision naturelle et heureuse qui convainc de bout en bout.
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CRITIQUE, CD. « Inspiration populaire » : Ginastera, Schumann, De Falla… Estelle Revaz, violoncelle / Anaïs Crestin, piano (1 cd Solo Musica)Enregistrement réalisé en avril 2021, ferme de Villefavard – CLIC de CLASSIQUENEWS
ENTRETIEN avec ESTELLE REVAZ
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ENTRETIEN avec ESTELLE REVAZ. Son dernier album « Inspiration populaire » a obtenu notre CLIC de CLASSIQUENEWS : en complicité avec la pianiste Anaïs Crestin, Estelle Revaz affirme la somptueuse sonorité de son violoncelle XVIIè dans un programme qui cultive les métissages. L’interprète rappelle combien en se mêlant, le populaire et le savant s’électrisent au rythme du pittoresque, de la danse, de l’amour aussi… Perle de cette collection de pièces idéalement investies, la Sonate de Ginastera qui délivre ses climats poétiques à la fois mélancoliques et salvateurs. Estelle Revaz commente le parcours de ce programme inédit…