vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE CD événement. SPONTINI : La vestale (version originelle 1807). Rebeka, Extremo, Christoyanis (2 cd Palazzetto B-Zane – coll. Opéra français, juin 2022)

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Créé en 1807, La Vestale de Spontini avant l’essor du style italien rossinien à Paris sous la Restauration, affirme le goût impérial celui de Napoléon Ier et surtout de l’impératrice Joséphine. Pas d’arias virtuoses, ni de chant ornemental mais dans l’esprit de la vraisemblance et du réalisme français, une action musicale dont l’écriture sert le drame à la façon des peintures d’histoire (d’où l’admiration indéfectible de Berlioz). D’ailleurs son modèle lyrique et dramatique survécut encore à la chute de l’Empire, jusqu’à Gounod et surtout Massenet, et l’avènement du drame verdien puis wagnerien à l’extrémité du siècle.
Il est donc légitime au printemps 2023, date de parution du présent album, de ressusciter ce jalon majeur de l’histoire de l’opéra romantique français. Il était temps depuis la révélation qu’en donna la diva Callas à Milan dès déc 1954… mais en italien. Bénéfice de la rencontre troublante d’une interprète de génie défricheuse de surcroît, avec un personnage fascinant de la scène lyrique romantique [avant les Norma et Lucia de Bellini ou Donizetti]. La Vestale offre un superbe portrait de femme forte, maîtresse de sa destinée, y compris jusque dans la mort… Soit une préfiguration de Carmen.

 

La tragédie lyrique romantique française
révisée par Spontini en 1807

 

Spontini fait évoluer le genre de la « tragédie lyrique », héritage du baroque lullyste. Mais ici en 3 actes au lieu des 5 originels, le prologue d’allégeance monarchique étant remplacé par une ouverture, superbe lever de rideau intensément dramatique.
Pour intensifier davantage le profil admirable, sacrificiel, tragique de La « Vestale » / Julia, Spontini exploite ses duos et confrontations avec Licinius, surtout la Grande Vestale, seconde héroïne de première importance psychologique… [actes 1 et 2]; ce dès après le premier air [d’exposition] de la grande Vestale au 1 [hymne du matin] ; le seul grand air de Julia n’arrivant qu’au II (« Toi que j’implore avec effroi »), alors dans le temple de Vesta où va la rejoindre contre les bienséances de son rang et sa fonction religieuse, Licinius son amant. Enchaîné avec le récit et le second air (« Sur cet autel sacré que ma douleur assiège »), le « monologue dépasse ainsi 11 mn : soit un grand portrait musical et psychologique de la héroïne, tiraillée entre son vœu de prêtresse et son désir de femme amoureuse…

La valeur de cette production enregistrée en juin 2022, rétablit les proportions et les tessitures originelles : orchestre sur instruments d’époque (avec accents terrifiants, « révolutionnaires », dédiés aux bois et aux cuivres, ce dès l’ouverture), et pour les rôles masculins de Cinna et Licinius, à présent  barytons authentifiés, léger, aigu pour Cinna et ténor grave ou baryténor pour Licinius, plutôt que les deux ténors rauques et cuivrés, d’évidence plus véristes que romantiques [de service dans la version Kuhn de 1991].

 

La Vestale rétablie
dans ses tessitures vocales idoines

Ici Julia, fière amoureuse, qui aime le général Romain Licinius malgré son vœu virginal et son devoir de ne jamais laisser le feu de Vesta mourir, est incarnée par Marina Rebeka, qui réussit l’équation troublante de la loyauté et de la tendresse. Le profil préfigure par sa droiture morale admirable, Norma : Rebeka succède avec conviction à la créatrice, la légendaire soprano Caroline Branchu, alors au sommet de sa carrière lyrique à l’Opéra de Paris. Une entité morale admirable qui justifie la volonté des dieux de finalement l’épargner. La tragédie connaît donc une issue positive.

Option réussie, le rôle héroïque et pathétique de Licinius, réservé, défendu par le ténor Stanislas de Barbeyrac dont la tendresse du timbre ne cache pas un défaut dans l’intelligibilité ni un certain maniérisme dans la diction. Défaillance que l’on ne saurait en rien émettre à l’encontre de l’impeccable Tassis Christoyamis, Cinna ardent, loyal, fidèle, certainement le plus crédible du plateau.

De son côté, l’alto française Aude Extremo qui a chanté Carmen entre autres à Lille, incarne  les aigus francs comme les graves « abyssaux » du rôle de la « grande Vestale », dans le sillon de « la » Maillard, créatrice du personnage en 1807, autre légende du chant français romantique avec Branchu. Même souci de nuance et d’expressivité ductile pour le rôle ailleurs si statique du Pontife grâce au jeu vocal alerte, palpitant de la basse captivante Nicolas Courjal [lequel fait d’ailleurs chez Gounod un mephisto idéal]. Le général Licinius [amant de la Vestale Julia] incarne sous l’empire napoléonien avide de référence et d’identification à la Rome impériale, une claire idéalisation du militaire vertueux [de surcroît vainqueur ici des gaulois] figure de napoléon évidemment, défenseur exposé célébré des opprimés contre le dogme religieux injuste et autoritaire [incarné par l’inflexible Pontife] .
Voilà qui démontre avec pertinence voire éclat la splendeur recouvrée d’un drame lyrique du premier romantisme français ; sa dette envers Gluck, sa proximité et sa singularité d’avec des opéras contemporains ou proches récemment recréés – et commentés / critiqués sur CLASSIQUENEWS [Semiramis de 1802, Les Bayadères de 1810 de Catel, Adrien de Méhul, La mort d’Abel de Kreutzer… voire Les Abencérages de Cherubini, inspiré de Chateaubriand…].

LES TALENS LYRIQUES après avoir réalisé l’Orchestre des Danaides, Renaud, surtout Uthal et Médee de Chérubini [dans la même collection Opera Français du Palazzetto B-Zane], montre d’évidentes qualités dans l’articulation du drame Spontinien.
Au jeu de la contextualisation, La Vestale confirme ainsi sa place singulière dans l’évolution du drame lyrique français, annonçant même Bellini. Recréation remarquable. C’est donc pour la Rédaction de CLASSIQUENEWS, un CLIC découverte, et un nouveau volume réussi de la riche collection « Opéra français » du Palazzetto Bru-Zane.

 

 

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CRITIQUE CD événement, recréation / Gaspare Spontini : La Vestale (Julia), déc 1807 – version originelle, recréation 2022. LES TALENS LYRIQUES- CHŒUR DE LA RADIO FLAMANDE
avec Marina Rebeka, Stanislas de Barbeyrac, Tassis Christoyannis, Aude Extrémo, Nicolas Courjal, David Witczak… Christophe Rousset, direction.
Plus d’infos sur le site du Palazzetto BRU-ZANE : https://bru-zane.com/fr/pubblicazione/la-vestale/

/ BRU ZANE LABEL – Coll. « Opéra français » vol. 35 | BZ 1051 – Parution : 12/05/2023 – Livre 2 CD – 154 pages – Coup de coeur de CLASSIQUENEWS – Note : 4 / 5. CLIC de CLASSIQUENEWS / CLIC découverte printemps 2023.

 

Sommaire du livre :

Alexandre Dratwicki, Au-delà du mythe
Alexandre Dratwicki, Un nouveau monde lyrique
Amar, L’œuvre, pas à pas
Hector Berlioz, Quarante ans plus tard
Étienne de Jouy, Dédicace et avant-propos
Synopsis
Livret

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