La résonance idéale de la Chapelle Royale de Versailles amplifie et magnifie ce programme aussi célébratif que fervent : grandeur et prière, pompe et dévotion étant depuis toujours l’ordinaire subtil du décorum versaillais ; aux trompettes et timbales éclatantes (remarquable arche introductive des marches des Philidor) répond la douceur caressante des cordes comme une invitation à l’intimité indissociable du faste cérémoniel (pas moins de 150 musiciens et instrumentistes ont créé le Te Deum selon les sources).
La musique du Surintendant Lully, acteur principal de cette célébration de 1687 (aux Feuillants de Paris) s’accomplit ainsi avec tout le feu et l’effusion individuelle que requiert l’exercice et que maîtrisent à présent tout à fait Les Épopées, formidable collectif électrisé par leur chef et directeur musical, Stéphane Fuget. L’histoire ajoute une couleur tragique car c’est en battant la mesure de cet événement dynastique (Lully commémore surtout la guérison du Roi son protecteur) que le Surintendant s’écrase le pied avec son bâton : il mourra de la gangraine quelques jours plus tard.
4ème (et dernier) volet dédié aux Grands Motets de Lully
Les Épopées rétablissent ce lien humain
fragile et plein d’espérance
qui unit les croyants au Dieu de miséricorde
Le Te Deum vient ici couronner tout un cycle dédié par Les Épopées aux Grands Motets de Lully (3 volumes précédents, critiqués par classiquenews qui leur a décerné le CLIC, coup de cœur de la Rédaction). Stéphane Fuget réussit à ciseler une image sonore de la majesté versaillaise, trouvant ce qu’aucun chef avant lui n’avait su réaliser, entre grandeur et piété. Le souci du verbe, de son articulation, la scansion qui ménage de somptueux silences structurants ; le relief des voix très fortement individualisées, cette caractérisation de chaque séquence du texte latin offrent une lecture fraternelle qui humanise considérablement le propos (somptueuse ferveur collective très justement individualisée du « Patrem Immensae Majestatis ») ; chaque accent doxologique est porté par un sentiment incarné, celui d’une communauté de croyants qui espèrent et se recueillent.
Sans jamais être raide ni pompeux, Les Épopées déroulent a contrario une souplesse naturelle qui rétablit la profonde humanité des partitions de Lully.
Le chef sait aussi rétablir la place privilégié des voix d’hommes, si appréciées à Versailles ; ainsi la ligne solistique de Cyril Auvity énonçant « Tu, ad liberandum suscepturus hominem », séquence linguistique idéalement projetée, intériorisée qui rappelle que le Te Deum est aussi un texte hautement dramatique dont le sens est celui d’une gratitude adressée au Dieu miséricordieux (même mesure recueillie pour le baryton qui enchaîne immédiatement avec le hautbois solo ; ainsi que plus loin, dans « Dignare Domine die isto » où la basse se montre tendre et implorante ; idéale préambule au Miserere qui suit enchaîné…).
Le chef joue de l’alternance entre solos et déferlantes chorales qui scandent avec une vivacité inédite les images du texte (« Tu ad dexteram Dei sedes ») ; il creuse l’éloquente poésie de préalable purement instrumental (pour « Te ergo quaesumus »), avant le duo des deux hommes, d’une sensualité vénitienne jamais écoutée dans un tel contexte, mais ô combien juste et d’une somptueuse intériorité (rejoints par la soprano).
Voilà qui exprime le lien tendre qui unit le croyant à son Dieu : cet éclairage humain nous paraît essentiel et d’un bénéfice superlatif. La suspension doloriste du Miserere (épisode le plus long : plus de 6mn), où les voix d’hommes se succèdent sur le fil fragile de la viole de gambe idéalement exposée, accrédite davantage la lecture ; la sincérité du geste, l’esprit de la nuance, la caractérisation individuelle, cet équilibre entre gravité et recueillement (avec effet tremblé) en font la référence de l’œuvre.
De même l’orchestre est doué d’une vie propre, d’une formidable plasticité expressive (début aux cordes du spectaculaire « Salvum fac populum tuum, Domine ») qui emporte tout l’édifice vocal dans une urgence elle aussi nuancée, à l’écoute de chaque élan intérieur du texte.
Dernière manière du motet
Exaudiat te Dominus de 1686
Pour accentuer encore la prière en vue du rétablissement du Roi, l’usage est d’associer au Te Deum si majestueux, l’éclat non moins fastueux et raffiné du Psaume 19 « Exaudiat te Dominus », second pilier des actions de grâce célébrées pour Louis XIV. Précisément son verset « Domine salvum fac regem » / Seigneur, sauvez le Roi… est d’autant plus indiqué dans la circonstance qu’il est aussi cité dans le Te Deum, soulignant ainsi le sujet qui relie les deux partitions. L’esprit de la prière et le souffle d’une exhortation partagée sont aussi incarnés par le solo de la soprano du « Tribat tibi secundum cor tuum » / Qu’il vous donne tout ce que votre coeur désire… on ne saurait être plus direct, tout en sollicitant la miséricorde divine.
La parenté harmonique, les effectifs et l’écriture des deux corpus (avec trompettes et timbales présents dans le chœur final de l’Exaudiat) accréditent évidemment de les jouer dans la continuité.
Avec cependant cette nuance stylistique qui les relie à deux différentes époques dans la vie de Lully : si le Te Deum relève d’un style propre aux années 1670, l’Exaudiat, plus moderne, plus vif et structuré, plus dramatique aussi (choeurs verticaux et massifs), manifeste l’ultime manière de Lully, celle des années 1684-85, proche des autres Motets précédemment enregistrés par Les Épopées (Notus Judaea Deus et surtout Quare fremuerunt gentes de 1685). Tous, plus récents, prolongent en réalité l’écriture des opéras : Armide et Acis et Galatée, tous deux de 1686.
La vitalité de l’articulation hautement dramatique, l’implication égale des chanteurs, cette équation idéale entre accents individuels et vagues collectives impérieuses édifient cette cathédrale sonore et fervente dont Les Épopées ont désormais le secret. Ils expriment et l’ardente prière, son élan vaillant mais fragile, comme la proportion versaillaise, entre majesté et théâtralité. Autant d’équilibre et nuances, dans chaque épisode, assurant la diversité et le sens des contrastes, témoignent d’une maturité artistique inédite, celle des Épopées que l’acoustique si singulière de La Chapelle Royale de Versailles (même si l’écrin que nous connaissons aujourd’hui ne fut jamais connue de Lully) magnifie davantage. Le temps est venu d’accorder excellence artistique, choix spécifique des partitions et mise en œuvre dans les lieux de musique à Versailles ; saluons en cela l’inventivité du label Château de Versailles Spectacles qui associe ainsi acoustique des sites du Château et partitions historiques ; dès l’ampleur spatiale des Marches des Philidor (réalisée en introduction au programme), le résultat se montre en cela particulièrement convaincant.
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CRITIQUE CD, événement. LULLY : Grands Motets, vol.4 : Te Deum, Exaudiat te Dominum – Les Épopées avec les Pages et les Chantres du CMBV / Stéphane Fuget, direction – enregistré à la Chapelle Royale de Versailles en mars 2023 (1 cd Château de Versailles Spectacles) – CLIC de CLASSIQUENEWS – coup de cœur de la Rédaction PRINTEMPS 2024.
PLUS D’INFOS sur le site du Château de Versailles Spectacles, boutique / Label : https://tickets.chateauversailles-spectacles.fr/fr/product/1541/cvs117_cd_te_deum
VIDÉO teaser VOL. 4 : Grands Motets / Te Deum de LULLY – les Épopées, Stéphane Fuget (Château de Versailles spectacles)
JEAN-BAPTISTE LULLY (1632-1687)
GRANDS MOTETS – VOLUME 4
TE DEUM · EXAUDIAT TE DOMINUS
Jacques Danican Philidor (1657-1708)
Marche de timballes faite par Philidor Cadet
André Danican Philidor (1652-1730)
La Marche Royalle
De toutes les représentations du « Te Deum » dirigées du vivant de Lully, l’histoire n’a retenu que la dernière, qui signa la mort du compositeur en 1686 : c’est en battant la mesure, qu’emporté par le zèle, il se perça le pied avec le bout de sa canne… Mais c’est dix ans plus tôt, pour le baptême de son propre fils, que Lully compose cette partition considérable qui fixe un genre « officiel » pour un siècle. Destiné lui aussi à célébrer les grands évènements du règne, le grand motet « Exaudiat Te Dominus » est une éclatante glorification du Roi, dont Dieu vient soutenir les armes. Stéphane Fuget, avec son ensemble Les Épopées, achève ainsi cette intégrale consacrée aux fastueux Grands Motets de Lully, en leur adjoignant les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles : À la Gloire de Dieu et du Roi !
Enregistré du 6 au 10 mars 2023 à la Chapelle Royale du Château de Versailles
critique cd
LIRE aussi notre CRITIQUE CD événement. LULLY : Grands Motets, VOL III – Benedictus, Notus in Judaea Deus… Les Épopées / Stéphane Fuget (1 cd Château de Versailles Spectacles) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-lully-grands-motets-vol-iii-benedictus-notus-in-judaea-deus-les-epopees-stephane-fuget-1-cd-chateau-de-versailles-spectacles/
Langueur et vertiges de la ferveur versaillaise… Ce volume III s’inscrit dans l’excellence et la justesse des deux volumes précédents. Loin de s’essouffler, Stéphane Fuget accomplit de nouveaux exploits dans un répertoire que l’on pensait connaître. Il suspend, ralentit, soigne chaque détail dramatique s’il sert la force évocatrice du texte latin