La Sonate n°3 (1844) est de la plus belle eau, jaillissante, éperdue, et tout autant ancrée dans le souvenir et la mémoire vive et intacte, auxquels le jeu souple, ciselé, orfévré de Jean-Nicolas Diatkine apporte un souffle toujours voluptueusement souterrain. Tout semble se déployer dans les plis et replis de la pudeur ; le pianiste dose et mesure chaque accent ;
chaque phrasé millimétré et scintillant, réussissant l’équation si subtile de la nuance et de l’intensité (premier mouvement : Allegro maestoso). Du flot organiquement continu, le pianiste fait jaillir dans ses deux occurrences, la mélodie diaphane et aérienne, avec une grâce absolue, une attention retenue, précise, des respirations et des césures personnelles, assumées et d’une justesse absolue. Déconcertante. A travers l’intensité, c’est la rêverie pure qui se concrétise sous les doigts d’un tel magicien du clavier.
La fluidité chorégraphique comme un ballet ininterrompu marque le débit caractérisé, altier et tout autant intime, énoncé comme une confession du second mouvement (court Scherzo), alterné à une course échevelée.
Le 3è mouvement (Largo) semble prendre plus de recul et de distance après l’énergie des deux précédents. D’une inspiration à la fois grave et profonde, le pianiste, maître des modulations suggestives, fait chanter la série de cantilènes, éclairant tous les contre-champs comme autant de jalons d’un songe amoureux, bienheureux car c’est bien le bonheur et l’opulence tranquille qui rayonnent progressivement. L’interprète ciselant chaque émergence du motif mélodique comme un ravissement supérieur.
Quant au finale (presto non tanto), son début qui semble remonter les eaux primordiales, et dessiner une houle au balancement irrésistible affirme crânement une virtuosité… lisztéenne. Chaque section gagne une éclairage individuel, pourtant enchâssé dans le cycle qui s’écoule avec une prodigieuse vivacité malgré la digitalité acrobatique. Sous ce festival de modulations, rythmes et accents, le pianiste architecte autant que poète garde son cap et capte chaque arête vive de la structure dont il rend le cheminement harmonique avec éclat et fulgurance.
Spontanéité, concentration, les 24 Préludes sont enchaînés avec la même maîtrise des respirations, doublée d’une intelligence souveraine des accents. Tout en exprimant l’intensité séquentielle, Jean-Nicolas Diatkine sait surtout produire le sens général, la formidable cohésion de ces 24 épisodes qui se répondent et fusionnent grâce au jeu et aux relations entre modes et quintes (en réalité et sous jacente, Chopin a écrit chaque prélude dans une tonalité majeure, suivi d’un autre dans sa relative mineure. L’absence de tout épanchement excessif, le souci de la nuance toujours, reflètent une compréhension profonde de tout l’édifice. Chaque « prélude » est une porte ouverte, d’une brièveté qui ouvre en réalité un infini poétique, miroir vers l’inconnu et l’ineffable. Les 24 Préludes sont autant de sentiments, de situations qui apportent à l’auditeur une explication, un sens dont le pianiste rétablit l’évidence et la sincérité. N’avoue-t-il pas qu’adolescent, il écoutait dans la version d’Arrau les 24 Préludes, et immédiatement pensait à propos de Chopin « Mais comment il le sait ? J’avais l’impression qu’un ami me comprenait… ». Sans esbroufe, le jeu saisit tout ce qu’a d’essentiel et de vrai chaque section.
Ici règne la force du sentiment dont Chopin se fait le meilleur apôtre. La franchise de ses confessions, l’intensité brûlante des degrés dans l’émotion, font du Chopin de JN Diatkine, un orfèvre sentimenaliste, un épistémologiste des vertiges du coeur. Volubile, grave voire austère, désespéré puis exclamatif, le piano vibre, murmure, rugit… explicitant cette révélation intime et enivrante qui est au coeur du jeu de Jean-Nicolas Diatkine. Superlative interprétation. Coup de cour absolu et évidemment CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2023.
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CRITIQUE CD événement. CHOPIN /Sonate n°3, 24 Préludes par Jean-Nicolas DIATKINE (1 cd Solo Musica) – enregistré en Autriche en avril 2023 – CLIC de CLASSIQUENEWS automne 2023
VIDÉOS
CHOPIN / Jean-Nicolas Diatkine joue les Préludes de Chopin :
Prélude n°4 en mi mineur :
Prélude n° 17 en la bémol majeur :
Prélude n°24 en ré mineur :
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Sur un Steinway D, au large spectre sonore, à la fois puissant et détaillé,( aigus et graves à égalité, la prise de son sublimant même le toucher du pianiste des plus inspirés), Jean-Nicolas Diatkine signe ici un nouvel album totalement convaincant. Comme son Liszt précédent, ce nouvel opus Chopin, éclaire le jeu magicien d’un orfèvre du clavier, dévoilant toutes les émotions présentes dans l’écriture chopinienne, sans en privilégier l’une plutôt que l’autre ; c’est dans cette éloquence équilibrée qui éclaire chaque pièce que l’intensité et l’hypersensibilité de Chopin triomphent ici ; frère de Schubert dans ses accents intimes ; frère tout autant de Beethoven, tant le pianiste sait tout en détaillant, souligner la puissance architecture de chaque morceau. Avec, marque personnelle, une vitalité joyeuse, une irrépressible énergie qui est feu et exaltation simultanément.