Désormais habitué du Festival International d’Opéra Baroque et Romantique de Beaune, Valentin Tournet ressuscite Les Fêtes grecques et romaines, premier opéra de François Colin de Blamont – dont la première entrée évoque les Jeux Olympiques. Distribution et direction superlatives et roboratives, hélas gâtées par la suppression de la dernière entrée…
Les jeux en fête !
Après Versailles et la Corrèze, Les Fêtes grecques et romaines achèvent à Beaune la tournée de ce magnifique opéra-ballet qui marque les débuts de François Colin de Blamont sur la scène lyrique. Compositeur qui se situe dans le sillage de Lully (et annonce Rameau), Colin de Blamont composa ce ballet en 1723 pour célébrer la majorité de Louis XV, qui connut un immense succès, confirmé par les nombreuses reprises qui s’étalent sur près d’un demi-siècle. Constitué de trois entrées indépendantes, mais reliées par une thématique commune, les fêtes de l’Antiquité (Les jeux olympiques, Les Bacchanales et Les Saturnales), l’opéra se distingue par la présence de personnages historiques plutôt que mythologiques (Alcibiade, Marc-Antoine et Cléopâtre, ou encore le poète Tibulle) et par la première collaboration du compositeur avec le prolifique librettiste Louis Fuzelier (qui signera notamment le livret des Indes galantes de Rameau, parangon de l’opéra-ballet). Mais comme pour L’Olimpiade de Métastase (et Vivaldi, Pergolèse ou Hasse), les jeux ne sont en réalité qu’un prétexte pour des dialogues galants, interrompus par de nombreux airs, duos, chœurs et pièces instrumentales du plus bel effet. La partition est débordante d’inventivité mélodique (en cela comparable au style de Campra), manifeste dès l’ouverture et le premier duo entre Clio et Erato, les nombreux préludes et ritournelles ou, bien sûr, les danses (magnifique chaconne du prologue) qu’aurait magnifié une chorégraphie ad hoc.
Hélas, les spectateurs ont été privés de la troisième entrée, pourtant indiquée dans le programme, sans qu’aucune annonce n’ait été faite. Ne boudons pas cependant notre plaisir. La distribution réunie est sans faille. Cécile Achille déploie un timbre séduisant dans la première et la deuxième entrée (très bel air d’une Égyptienne, « Livrons sans alarmes »), Jehanne Amzal impressionne par sa virtuosité, notamment dans le rôle d’Aspasie, et Hélène Carpentier fait une entrée fracassante dès le prologue, Clio superbe de bravoure, dont le timbre chaud et à l’élocution impeccable triomphe davantage encore dans le rôle suivant de Timée, révélant une présence théâtrale des plus efficaces. Mais la distribution féminine est dominée plus encore par Marie-Claude Chappuis, immense connaisseuse de ce répertoire, qui incarne avec grâce et puissance successivement une Érato solide et volontaire et une Cléopâtre d’une sensibilité alliciante, distribuant une grande palette d’affects, malgré le statisme relatif de l’intrigue. Chez les hommes, David Witczak est un baryton racé et éloquent, mais peut-être un peu en retrait pour incarner des personnages de la trempe d’Apollon, d’Alcibiade ou de Marc-Antoine. La beauté de la voix compense malgré tout une faible présence scénique. En revanche, Cyrille Dubois fait de nouveau preuve de ses moyens vocaux phénoménaux, d’une aisance extraordinaire (dès son air d’entrée, dans le rôle d’Amintas, de la première entrée), ne fléchissant aucunement, y compris dans le registre aigu qui maintient une diction parfaitement audible.
À tête de sa Chapelle Harmonique, Valentin Tournet dirige avec rigueur et enthousiasme, toujours soucieux des équilibres entre les pupitres où chaque instrument sonne avec une très grande clarté, et entre les pupitres et les voix, faisant ainsi preuve d’un très grand sens du théâtre qui, dans cette partition, domine plus encore dans la rhétorique de la parole que dans celle du geste. Les chœurs, très présents, ajoute à la splendeur d’une partition qui méritait d’être exhumée. Les spectateurs, frustrés de n’avoir pu entendre la très belle troisième entrée, se reporteront à l’enregistrement discographique remarquable paru en 2023 sous le label château de Versailles-Spectacles, célébrant ainsi olympiquement le tricentenaire de l’œuvre.
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CRITIQUE, ballet héroïque. BEAUNE, 42ème Festival International d’Opéra Baroque et Romantique (Basilique Notre-Dame), le 6 juillet 2024. Hélène Carpentier (Clio, Timée), Marie-Claude Chappuis (Érato, Cléopâtre), Cécile Achille (Zélide, Plautine, Une Égyptienne, Une bergère), Jehanne Amzal (Aspasie, Délie), David Witczak (Apollon, Alcibiade, Marc-Antoine), Cyrille Dubois (Amintas, Eros, Tibule, un suivant d’Apollon). La Chapelle Harmonique / Valentin Tournet (direction).