jeudi 18 avril 2024

Concert « Temps Modernes » à Lyon

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temps modernes lyon ensembleLyon, vendredi 28 novembre 2014, 19h : concert « Temps Modernes » : Debussy, Fauré, Franck, Murail, de Montaigne, Antignani, Jouve… Sans tapage médiatique, le groupe des Temps Modernes – fondé et dirigé à Lyon – joue un rôle déterminant, et pas seulement dans sa région d’origine et d’activité. Son concert lyonnais du 28 novembre, à la Mairie du 6ème à Lyon, est la synthèse de ses orientations : recours au « Trio »Franck-Debussy-Fauré, en appel vers les « classiques » du XXe et du XXIe (Murail, Antignani, Jouve), et en reprise du mystérieux Sarn I de P. de Montaigne.

Connaissez-vous Sarn ?
Sarn : avez-vous déjà prononcé ce…mais comment l’appeler : vocable, phonème, patronyme, prénom, invocation magique ? Ce sera mieux si, féru de littérature anglaise, vous reliez ce sarn à un titre de romancière du XXe, et si cela faisant tilt dans votre mémoire culturelle, vous prononcez le nom d’auteur(e), Mary Webb… Peut-être héritière d’Emily Brönte, Mary Webb, mais plus « modeste » dans le propos ou la notoriété sociale et littéraire que son aînée du XIXe…Il n’empêche : à côté de Hurlevent -ainsi qu’on traduit pour les Français Wuthering (Heights) -, demeurera plus tard dans les campagnes britanniques hantées de bruit, de fureur et de silences un Sarn où les « aventures » de la douce Prue dominée par son rude frère Gédéon offrent le plus fascinant des microcosmes, entre Nature sauvage, épreuves et aspiration à la paix intérieure.

9 pièces en accomplissement
On peut succomber au charme ( sens fort et profond du mot latin) de Sarn, relier son « paysage » (un « état d’âme », comme l’appelait l’écrivain suisse H.F.Amiel) à des souvenirs d’enfance (pour une Française du XXe, les étangs du Forez n’évoquent-ils pas ceux, si anglais, de Plash ou de Sarn ?), voire à image et scène « fondatrice » qui, depuis une lecture-découverte, pourront vous accompagner sur la durée de l’existence entière. Cette rencontre avec Sarn a bien été pour la musicienne Pascal de Montaigne un choc orientant son écriture et lui conférant un sens bien plus « universel » que tel ou tel lieu d’inspiration. On songe ici à ce que fut pour Jean Barraqué (1928-1973) le roman métaphysique d’Hermann Broch, La Mort de Virgile, devenu centre de plusieurs «  œuvres( elles-mêmes) ouvertes » selon différentes formules instrumentales-vocales, et d’ailleurs jamais vraiment achevé, ou si on préfère, une Série qui montre autrement l’écriture du sérialisme. Pour Sarn – dont il existe une version en opéra (de chambre), La Malédiction des Sarn, – le corpus initié par le piano (Sarn I) a été articulé en 9 pièces – musique de chambre, voire versions amplifiées à l’orchestre – , « le chiffre 9 ayant pour P.de Montaigne un sens d’accomplissement ; et Sarn IX- à neuf « voix » – fermant la boucle dans un mouvement perpétuel qui devrait laisser l’impression que rien n’est jamais terminé, et au contraire se prolonge à l’infini ».

Toucher le coeur de l’auditeur
Il est bon qu’en un de ses concerts lyonnais – trop rares !- Temps Modernes rende hommage à un compositeur dont le parcours est profondément original, bien sûr en dehors des modes parce que consacré à ce que Marcel Bitsch nomme « le secret : partie du cœur, cette musique touche immédiatement le cœur de l’auditeur. » Ayant dû longtemps interrompre la composition – alors qu’elle avait été formée au violon par Michel Schwalbé, à l’écriture par Marcel Péhu – , P.de Montaigne avait été remise dans cette voie active par l’organiste et compositeur Loïc Mallié, qui «  a contribué à faire évoluer un style où l’imaginaire –libéré d’une longue gestation intellectuelle – s’ouvre à son propre monde sonore, se référant en toute liberté au langage de la seconde moitié du XXe ». Et c’est bien autour de Sarn, en son « premier moteur »(eût dit Aristote), la pièce I, pour piano, à la fois portrait de la totalité-Sarn et autoportrait discret de l’auteur – gravité du propos, langage sévère et poétiquement imaginatif, énergie et lucidité contre la souffrance, comme le marque un double accord presque brutal pour clore la pièce, éloge d’une solitude presque hautaine -, que peut être mise en gravitation l’intention générale de ce concert sans thématique trop visible…

Continuer l’histoire de l’art
Ce choix de partitions – époques sur un siècle, natures et esthétiques diverses – reflète bien l’ouverture de ce groupe voué au « contemporain » fondé il y a 21 ans à Lyon, et qui compte maintenant parmi les acteurs les plus déterminants, même si (trop ?) discret du paysage français d’aujourd’hui. « C’est au contact des grandes œuvres du XXe que l’unité de l’ensemble s’est forgée, déclarent les deux fondateurs de T.M., le clarinettiste Jean-Louis Bergerard et le flûtiste Michel Lavignolle. Par affinité, on développe des relations privilégiées avec certains compositeurs. Notre finalité va directement à la signification de la poétique sonore : sensibilité, rêve, interrogation, sensualité. La musique contemporaine n’est pas nécessairement en rupture avec les œuvres du passé, mais peut continuer, par ses nouveaux apports, l’histoire de l’art d’une civilisation.»

Adieu au monde
C’est en « application de cette théorie » que le programme lyonnais du 28 novembre présente plusieurs facettes du XXe et du XXIe, fondatrices en leur début, et même pour l’adaptation « chambriste » d’un certain Prélude à l’après-midi d’un faune, le recours à un Debussy qui « révolutionna » dans la dernière décennie du XIXe l’écriture et même le rapport au public (a priori peu moderniste mais aussitôt conquis par « ces nymphes (qu’on veut ici ) perpétuer »). Et avec la sonate où violon et piano de César Franck disent ardemment le romantisme finissant qui aussi ouvre sur l’avenir du sentiment. Ou avec un tardif – Fauré atteint alors la rive des 80 ans – Trio op.120, murmurant dans son Andantino quelque adieu sans désenchantement au monde crépusculaire…

Les 13 couleurs et soleil levant
On filera la métaphore du « soleil couchant » grâce aux « 13 couleurs » que Tristan Murail détecta en fin des années (19)70 et fit alors scintiller dans une pièce dont Les Temps Modernes réalisa une adaptation (remarquable et remarquée, avec Winter Fragments , et Bois flotté, dvd de 2002 qui obtint un Grand Prix Charles Cros et un « Choc du Monde de la Musique », sur des images video de Hervé Bailly-Basin). Tristan Murail a été, avec Gérard Grisey (prématurément disparu) et Hugues Dufourt un des fondateurs et illustrateurs de la musique spectrale (spectre sonore et partiels infinitésimaux qui le constituent) ; il avait en 1978 développé les concepts neufs de « prémonition ou de prolongement des sons complexes », et de « modulation en anneau, où les fréquences s’auto-génèrent dans une réaction en chaîne ». Pièce impressionniste ? Le musicien natif du Havre ne refuse pas les échos du mouvement pictural dont la toile de Monet fut le « soleil levant » qui surgit en 1873…– d’autant qu’en élève de Messiaen il a intégré à sa pensée les liens couleur-son, voire leur symbolique -…Pourvu qu’on reconnaisse là une « très forte structuration, et une métamorphose insensible qui transforme ces couleurs « , dans la « dérive harmonique, les micro-intervalles, les sons complexes ». Bref, les Séries de Monet (meules, peupliers, cathédrale de Rouen) nourrissent aussi une inspiration musicale à travers les 13 teintes successives, des éclats incandescents à l’éloignement de l’intensité lumineuse. »

Nuit et Neige
« Nix et Nox », le titre est-il un jeu sur la Nuit, en grec (les puristes écriraient Nux en grec ancien) et en latin ? Mais une fois vérifié aux intarissables sources du dictionnaire Gaffiot, on constate que la Nix latine est… Neige . Dont acte, et bien fait, puisque j’ai voulu jouer au savant « contre » un compositeur d’une Sœur Latine ! Luca Antignani, aujourd’hui très « acclimaté » aussi à Lyon (la Florence d’entre Rhône-et-Saône ?) où il enseigne l’orchestration au CNSM, avait déjà écrit en 1998 une pièce de piano sur « la glaciale clarté de la lune ». On ira donc chercher en son imaginaire des reflets liés à ce qu’il nomme « la cyclicité et la rotation perpétuelle, qui parcourt depuis longtemps et de manière obsessionnelle » dans sa composition. Nix et Nox dit « le paradoxe implicite dans la conduite à spirale : éloignement progressif d’un centre thématique, idée d’un éternel retour, constant et inéluctable. D’où le sentiment (limite) d’être englouti par un vortex de tourbillonnante complexité. »

Les ailes et l’azur
Quant à Jean-Marc Jouve, qui a bénéficié des conseils d’Alain Poirier, Betsy Jolas et Sofia Goubaïdoulina, « par la grâce de ces rencontres et la ténacité à vouloir réaliser l’alchimie, il élabore sa propre poétique musicale, nourrie de la lente interrogation des langages. Cela est réponse engagée à toutes les formes de tyrannie, notamment culturelle, d’aliénation, à tout ce qui dispense l’homme de penser par lui-même. » Sa pièce que T.M. donne en création mondiale scrute aussi le ciel : « d’ailes et d’azur » doit être lu, selon son auteur, comme « une musique-élan, geste vital, défi en réponse à la vie menacée, trajectoire du cri à la lumière : elle doit beaucoup à la fascination exercée par le vol des grands rapaces ». Très reliée au chant et à la trajectoire des oiseaux dans l’espace physique – et poétique -, elle se clôt par « perdendosi », en renversement du chromatisme douloureux XVIe et XVIIe : « simultanément, écriture descendante et perception ascendante (son paradoxal), métaphore du retournement de la douleur vers la lumière ».

Soleil levant
Temps Modernes est ici en « quintette » : Jean-Louis Bergerard (clarinette), Michel Lavignolle(lflûte), Claire Bernard (violon), Florian Nauche (violoncelle), auxquels s’est plus récemment jointe la pianiste Emmanuelle Maggesi (qui forme aussi avec la percussionniste Ying-Hui Wang le duo Cthulhu). Parfums, couleurs, sons d’(extrême)orient se répondant, et soleil… levant, donc à l’est pour notre si vieille Europe ? Car Temps Modernes connait bien et reprendra bientôt une « longue marche » vers la Chine qui l’a déjà accueilli en Festivals (New Music of Shanghai, Bejing Modern Music, Asean Music Week), et encore plus à l’est, au Japon (Quartiers Musicaux,Yokohama)….

Lyon, vendredi 28 novembre 2014, Salons de la Mairie du VIe, Rue de Sèze, 19h. Temps Modernes joue Franck, Debussy, Fauré, Murail, Antignani, de Montaigne, Jouve. Renseignements et réservation T. 06 08 60 29 73.

programme

Claude Debussy : Prélude à l’après-midi d’un faune
César Franck : Sonate pour violon et piano
Pascal de Montaigne : Sarn I
Gabriel Fauré : Andantino du Trio op. 120
Jean-Marc Jouve : D’ailes et d’azur (création)
Luca Antignani : Nix et Nox
Tristan Murail : Treize couleurs du soleil couchant

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