Parmi les dizaines d’opéra (- plus de soixante-dix en tout-) que Gaetano Donizetti (1797-1848) a composé, Lucia di Lammermoor est l’un des plus célèbres. Pour son livret, Salvatore Cammarano (NDLR : l’auteur du livret du Trouvère de Verdi en 1857) s’est inspiré du livre de l’écrivain écossais Walter Scott, lequel s’était inspiré d’un fait divers réel remontant du XVIIème siècle. A cause du mauvais temps annoncé, la seconde représentation de Lucia di Lammermoor s’est déroulée à la Halle des sports de Saint-Céré. Olivier Desbordes reprend le chef d’oeuvre de Donizetti dans une nouvelle production co-produite avec le Centre Lyrique de Clermont-Auvergne. Pour l’occasion une distribution et un chef d’orchestre jeunes ont été réunis pour donner vie aux personnages et à la musique du drame Donizettien.
Lucia de fureur et de sang, entre deux coups de tonnerre
Concernant la mise en scène, Olivier Desbordes place Lucia dans une Écosse intemporelle : ce qui s’avérerait être une excellente idée si les costumes féminins de Ruth Gross n’étaient aussi vilains, tristes, définitivement inesthétiques. Quel dommage en effet que les choristes et Alisa ne soient perçues que comme des paysannes et non comme des jeunes nobles; quant à la pauvre Lucia, qui est déjà une victime, exceptée la robe de mariée, elle est affublée d’ensembles assez ternes. Le module central sert à la fois de fontaine (dans laquelle Lucia devenue folle finira par rejoindre le fantôme qui l’effrayait tant), de forêt puis de salle de réception. Ce sont les très belles lumières de Patrice Gouron qui font passer la grande tristesse des costumes.
Le plateau vocal réuni est dans l’ensemble assez jeune, grandement dominé par la soprano franco-turque Burcu Uyar. La voix, certes claire, mais large et chaleureuse de la jeune femme colle parfaitement au rôle de Lucia; bonne comédienne, la cantatrice rend bien les sentiments d’une jeune fille sacrifiée sur l’autel de la politique ; elle souligne l’écrasante domination des hommes sur leurs filles ou leurs soeurs. Et d’ailleurs Olivier Desbordes a une excellente idée en faisant aller et venir Lucia sur une charrette telle la victime expiatoire de l’ambition démesurée et inhumaine d’Enrico. Gabriele Nani qui chante Enrico est retors et méchant à souhait prenant le dessus, accablant sa pauvre soeur avec d’autant moins de scrupules qu’il est obnubilé par son avenir politique sans se préoccuper d’autre chose. Un seul regret, que son entrée pendant la folie de Lucia ait été coupée : Olivier Desbordes ayant souhaité que Lucia reste seule dans son délire mortel. Face à Burcu Uyar et Gabriele Nani, le jeune ténor serbe Svetislav Stojanovic campe un bel Edgardo; la voix est chaleureuse et souple mais, est-ce dû au stress, parfois peu sûre dans les aigus notamment. Si Christophe Laccassagne assume crânement le rôle de Raimondo sur un plan strictement scénique, la voix du baryton français est solide mais nous semble cependant un peu légère pour la tessiture du personnage. Il est le seul dont on ne sache pas vraiment qui de Lucia ou d’Enrico, il soutient vraiment tant il va de l’un à l’autre sans réellement se dévoiler complètement. Saluons la belle Alisa d’Hermine Huguenel, le Normano aussi retors que son maître, de Laurent Galabru (parent éloigné du comédien Michel Galabru) et le solide Arturo d’Éric Vignaud. A noter que l’orage qui se déchainait dehors, accompagné d’éclairs et de coups de tonnerre réguliers accompagnait particulièrement bien la lente descente aux enfers de Lucia même si nous aurions préféré être au château de Castelnau plutôt qu’à l’intérieur de la salle du repli. Dans la fosse, l’orchestre, en effectif réduit, est tenu avec énergie par le jeune chef Gaspard Brécourt; attentif à ce qui se passe sur le plateau, Brécourt pilote parfaitement ses musiciens et ne couvre jamais les chanteurs. Ayant retenu les leçons de l’édition 2014 au cours de laquelle une partie des musiciens avaient failli se retrouver engloutis par des rideaux, les responsables avaient pris soin de mettre une séparation nette entre lesdits rideaux et l’orchestre. Souhaitons une belle carrière à ce jeune chef prometteur.
C’est une belle production de Lucia di Lammermoor que nous présente Olivier Desbordes; production qui aurait pu être superbe si la costumière avait pris autant soin des femmes que des hommes en donnant aux premières des costumes dignes de ce nom. Fort heureusement le plateau vocal et l’orchestre défendent la partition avec panache, voire excellemment : la Lucia de Burcu Uyar demeure l’argument le plus convaincant du spectacle de Saint-Céré 2014.
Saint Céré. Halle des sports, le 8 août 2014. Gaetano Donizetti (1797-1848) : Lucia di Lammermoor opéra en trois actes sur un livret de Salvatore Cammarano d’après l’oeuvre éponyme de Walter Scott. Burcu Uyar, Lucia; Gabriele Nani, Enrico; Svetislav Stojanovic, Edgardo; Christophe Lacassagne, Raimondo; Éric Vignau, Arturo; Laurent Galabru, Normano; Hermine Huguenel, Alisa; Orchestre et choeur Opéra Éclaté, Gaspard Brécourt, direction. Olivier Desbordes, mise en scène; Ruth Gross, décors et costumes; Patrice Gouron, lumières.