Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Bastille, le 19 septembre 2014. Rossini : Le Barbier de Séville…. Rossini ouvre la nouvelle saison 14-15 de l’Opéra National de Paris en joie ! Damiano Michieletto signe une mise en scène inventive, jouissive, bondissante, à la hauteur et au rythme de la musique rossienne. La distribution des acteurs-chanteurs est équilibrée, mais avec des personnalités distinctes, parfois même révolutionnaires ! L’Orchestre de l’Opéra National de Paris sous la baguette du chef Carlo Montanaro offre une performance de grande classe, mais qui suscite quelques réserves.
Un Barbier de Séville hautement revendiqué
Damiano Michieletto fait également ses débuts à l’Opéra National de Paris avec cette production datant de 2010, apparemment adaptée pour notre capitale. Il se trouve que le jeune metteur en scène vénitien fait souvent scandale dans son pays, où l’on peine souvent à accepter modernité et transposition. L’équipe artistique de ce Barbier contemporain reste tout à fait talentueuse et pertinente. Paolo Fantin signe les impressionnants décors : dans une Séville actuelle et populaire, touchant malgré tout la caricature et le kitsch, les façades des immeubles pleins de vie de quartier cachent un secret. Il s’agît de l’immeuble central qui pivote pour montrer l’intérieur des appartements, les escaliers, voire la loge du gardien ; le tout pensé et animé dans le moindre détail. Un festin visuel qui ne se contente pas de l’être, bien heureusement : ses nombreux détails et accessoires servent en permanence les interprètes. Michieletto insiste sur le travail d’acteur, réussi dans l’intention et dans l’exécution. Saluons son instinct théâtral et surtout sa perspicacité. Devant un travail intellectuel déjà si riche, il a été évident que les chanteurs aient été aussi investis et enthousiastes.
Karine Deshayes chante un rôle qui lui va très bien et dans cette production nous découvrons et redécouvrons ses dons de comédienne, puisqu’il s’agît d’une Rosina ado rebelle qui, entre autres, fume en cachette avec Figaro lors du célèbre duo au premier acte « Dunque io son ». Vocalement solide, nous apprécions particulièrement sa grande complicité avec la distribution et son aisance sur scène, rafraîchissante ! Le Figaro de Dalibor Jenis chante son grand air « Largo al factotum » tout en traversant, montant et descendant l’immeuble. Un défi réussi. Il fait preuve d’une bonne projection vocale et d’une présence singulière, même si nous pensons qu’il pourrait gagner en force. C’est aussi un partenaire complice qui n’éclipse jamais ses camarades. En l’occurrence le Comte Almaviva de René Barbera qui débute avec une colorature incertaine et un brin d’interventionnisme pas toujours réussi, mais avec un timbre brillant, surtout une chaleur et une candeur particulière dans l’expression qui compensent. Remarquons également quelques personnages secondaires qui ont tendance à plus ou moins s’effacer devant la virtuosité des protagonistes. D’abord le Bartolo de Carlo Lapore, débutant à Paris, en excellente forme vocale ; de surcroît son jeu d’acteur est des plus crédibles. Ou encore le Basilio d’Orlin Anastassov à la voix puissante et au jeu réactif. Finalement que dire de la Berta de Cornélia Oncioiu ? En tant que femme de ménage de Bartolo elle n’est pas emmenée à chanter autant que les autres, mais son chant est sans le moindre doute le plus virtuose du plateau ; le timbre mûr et chaleureux, et la maîtrise totale de la dynamique rossinienne font mouche. C’est une chef de file éclatante dans le finale du premier acte « Fredda e immobile », un véritable tour de force pour la mezzo-soprano que nous aimerions voir et écouter plus souvent ici et ailleurs. Mais il s’agît aussi d’une excellente actrice avec une présence sur scène constante et… inoubliable ! Elle est ravissante et drôlissime en bonne cocasse et au bon galbe, mais aussi touchante lors de son seul air de circonstance au deuxième acte « Il vecchiotto cerca moglie », vivement applaudi. C’est la perle rare d’un spectacle déjà fantastique… Une révélation !
L’Orchestre de l’Opéra de Paris a du mal à ne pas plaire à son public fidèle. Le chef italien Carlo Montanaro, découvert par nul autre que Zubin Mehta, sacrifie un peu de vivacité pour l’élégance. Il s’agît peut-être d’une décision concertée entre toute l’équipe, tellement la production requiert un effort physique, voire acrobatique, des interprètes. Le résultat est très intéressant, une sorte de Barbier parisien dans le sens instrumental, avec des crescendos de grande dignité, des cordes bondissantes et coquines. Il sait pourtant lâcher prise notamment lors des finales à l’entrain endiablé.
Courrez donc écouter et voir cette nouvelle production baignée de gaîté rossinienne hautement revendiquée à l’Opéra National de Paris (Opéra Bastille) par une équipe fabuleuse et équilibrée, riche en bonheur et pleine de qualités. A l’affiche de l’Opéra Bastille : les 23, 25, 28, 29 septembre, les 1, 4, 14, 15, 20, 23, 28 et 30 octobre ainsi que le 3 novembre 2014.
Illustration : la mezzo Cornelia Oncioiu : la quarantaine radieuse, la mezzo est la révélation de la production parisienne de ce Barbier enjoué … (DR)