samedi 20 avril 2024

Compte rendu, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 17 octobre 2016. Donizetti : Lucia di Lammermoor. Pretty Yende. Frizza, Serban.

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yende-pretty-portraitCompte rendu, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 17 octobre 2016. Donizetti : Lucia di Lammermoor. Pretty Yende. Riccardo Frizza (direction musicale), Andrei Serban (mise en scène). Après La Scala de Milan, le Metropolitan Opera de New York, le charme Yende s’invite et triomphe à Paris, offrant malgré l’ampleur de l’Opéra Bastille, un écrin taillé pour le chant clair, puissant, ardent et juvénile de la jeune soprano sud-africaine Pretty Yende. Les français et les parisiens la connaissent bien à présent ; après avoir chanté ici même Le Barbier de Séville, la jeune diva fut surtout révélée en France par le Concours de Bel Canto Vincenzo Bellini, lors de sa première édition dès 2010 ; puis l’année suivante, en octobre 2011, Espace Cardin, un récital exceptionnel offrant une carte blanche à la cantatrice ainsi distinguée affirmait son jeune tempérament… déjà, un timbre rayonnant, à l’agilité époustouflante affirmait ce tempérament belcantiste que les parisiens ont acclamé, cinq années plus tard en ce soir du 17 octobre à Bastille. En 2015, sur les planches du Deutsche Oper de Berlin, la jeune diva avait pu encore approfondir un rôle qui lui va comme un gant, entre langueur extatique et folie hallucinée. La musicalité incandescente de la diva s’affirme dès son premier air à la fontaine (« Regnava nel silenzio »), d’une candeur fine et nuancée, colorée de sensibilité mélancolique, puis inscrit viscéralement dans l’extase juvénile d’un jeune cœur amoureux : c’est essentiellement cette lumière vocale, d’une fraîcheur profonde et souple qui saisit immédiatement, confirmant qu’en plus de la diva confirmée (qui vient de sortir son premier disque chez Sony “A journey” : CLIC de CLASSIQUENEWS d’octobre 2016), la cantatrice trentenaire affirme tout autant sur scène, un superbe tempérament dramatique : Pretty Yende occupe l’espace (pourtant si vaste de Bastille, avec une sincérité sidérante). Peu de chanteuses offre la grâce de leur maîtrise et de leur jeunesse avec une telle évidence ; or Pretty Yende possède ses deux qualités, conférant à son incarnation de Lucia, l’intensité et la subtilité requises pour le rôle.

 

 

La Lucia de Bastille confirme l’éblouissant talent de

Pretty Yende, nouvelle diva belcantiste

 

yende-pretty-lucia-lamermoor-opera-bastilleAinsi se révèle la métamorphose tragique de l’héroïne qui malgré sa détermination amoureuse (acte I), doit se plier au devoir que lui impose son frère Enrico (II) : épouser le riche Arturo Bucklaw dont la fortune restaurera le blason de leur clan (celui des Ashton). Ecartés les rêves enivrés, et les serments amoureux pourtant proclamés avec son amant secret Edgardo Ravenswood. Toute l’action prépare en définitive à l’épisode lunaire fantastique de l’acte III, où l’épousée de force surgit dans sa robe ensanglantée, ayant tué ce mari non désiré dans un acte de souffrance extrême : la fameuse scène de la folie, « Il dolce suono », – défi ahurissant pour toutes les divas belcantistes, offre le tableau le plus déchirant de la soirée où brille comme un diamant éblouissant le timbre d’une Pretty Yende, à la fois angélique, hallucinée, transfigurée, maîtresse de sa coloratoure, orfèvre ès vocalises. Donizetti n’a pas lésiné dans un épisode où le chant atteint cet au-delà indéfinissable (Kierkegard), et d’une intensité quasiment abstraite, où humiliée, soumise, impuissante, démunie, la jeune femme sacrifiée n’a que sa vocalité irradiante pour crier son refus d’être ainsi torturée. La scène reste inoubliable tant la candeur très subtile que sait ciseler la jeune diva affirme une sincérité irrésistible alors.
Il faut un ténor solide ensuite pour préparer à la désolation du sacrifice accompli, accompagnant le choeur déplorant la mort de la jeune femme (« Tombe degl’avi miei ») : Piero Pretti au début dur et peu assuré, manquant aussi de nuances, trouve cependant le ton juste et une pudeur expressive qui dans le rôle d’Edgardo, rejoint la justesse de ton de sa partenaire. Leurs deux prestations assurent la totale réussite de la soirée.

Courrez donc à Bastille écouter le chant angélique et magicien d’une diva inoubliable : Pretty Yende qui ce soir a charmé le coeur des parisiens venus l’acclamer. Elle triomphait avec d’autant plus de mérite qu’avant elle et dans la même mise en scène (signée Andrei Serban), s’affirmait en 2013, une certaine … Sonya Yoncheva. A Bastille, les Lucia se succèdent et scintillent d’un éclat à nul autre pareil.
Si les deux protagonistes convainquent, le reste de la distribution laisse plus réservé : plus monolithiques et moins articulés, l’Enrico, droit et linéaire du baryton russe Artur Ruciński ; comme le pourtant très sonore et caverneux Raimondo de la basse Rafal Siwek ; les deux ont la puissance requise pour emporter cependant l’adhésion du public.

Riccardo-FrizzaMais l’autre miracle, aux côtés du prodige Yende, reste le chef d’orchestre Riccardo Frizza dont on a mesuré à chaque instant le sens de l’équilibre et du format sonore (plateau / fosse), ciselant un orchestre aux couleurs rossiniennes et mozartiennes ; restituant le cynisme élégant d’une écriture qui se fait outrageusement séduisante aux moments les plus abjects de l’action ; déployant une écoute chambriste d’une rare intelligence lors des tutti, en particulier dans le fameux et si sublime sextuor de la fin du I : un autre moment inoubliable par la finesse et la profondeur du geste qui permet à chaque voix comme à chaque timbre instrumental d’être écouté puis de se fondre dans le groupe. Bastille nous a offert une exceptionnelle soirée belcantiste révélant l’intelligence d’une jeune diva et la direction enthousiasmante d’un chef à la fois précis et mesuré. Production incontournable.

 

SERBAN andrei mise en scene opera classiquenews andreiserban-bincLA MISE EN SCENE : L’UNE DES MEILLEURES D’ANDREI SERBAN. Créée in loco en 2013, la lecture du roumain Andrei Serban n’atténue pas la notoriété positive du metteur en scène, bien au contraire ;  cette Lucia est forte et claire comme le fut sa vision de La Khovantshina de Moussorsgki très appréciée aussi en 2013 : l’absence des incontournables milices armés, bottes de cuir noires et fusils d’assaut qu’on ne cesse de nous infliger ici et là, n’ont pas cours ici car Serban développe une vision très fine et politique sur la société puritaine et bourgeois du XIXè, – soit la période de création de Lucia (septembre 1835 au San Carlo de Naples) : le dispositif de la galerie circulaire qui domine le lieu de l’action et où siègent comme des juges les bons bourgeois en hauts de forme, dès le début, en inscrivant l’action dans un gymnasium où la virilité qui s’expose – biceps et armes en avant, dit bien la loi virile omniprésente dans l’intrigue : ce sont bien les hommes et leurs tractations abjectes comme hypocrites que la jeune Lucia doit affronter, sans moyens, sans armes… sauf le diamant poli, scintillant, supraterrestre de son métal vocal. Cette vision est tout à fait manifeste, d’autant plus puissante en définitive qu’elle est admirablement incarnée – et certainement mieux que les divas qui l’ont précédée ici, Patricia Ciofi, Sonya Yoncheva, par une Pretty Yende dont l’éclat juvénile est la facette la plus saisissante.

lucia-di-lammermoor-pretty-yende-opera-bastilleAprès la scène de la folie, ses dernières vocalises ahurissantes égrenées dans l’espace immense de Bastille, et dans l’espace clos du décor unique (la salle d’armes des hommes signifie et l’enfermement auquel est confinée la jeune femme), Pretty Yende provoque par le seul choc de son chant, le démantèlement des chassis en bois sur lesquels les virilités exhibitionnistes récurrentes pendant le spectacle, polissaient leurs muscles galbés : la vérité d’un chant soudainement libéré jusqu’à son essence qui est ici résistance, face à l’hypocrisie d’une société virile, boursouflée, vide…qui se délite. Tout un symbole. Tout est dit dans cette image d’une implosion collective sur laquelle s’élève l’âme de Lucia: incarnée par la jeune amoureuse, la souffrance qui chante son intensité est finalement l’arme qui anéantit tout un monde déshumanisé. Car ici ni Edgardo le fiancé, ni Enrico le frère marieur indigne, ni le jeune épousé (Arturo) réduit à la figure d’un pantin idéal, ni tous les sbires vaincus par la loi de la conformité et agents passifs de la torture silencieuse, n’ont de consistance. Aucun ne se hisse au niveau moral, éblouissant, de la divine sacrifiée. Lucia est une moderne : une martyre et une résistante. Voilà ce que représente clairement la mise en scène de Andrei Serban et qui la rend passionnante.

 

 

yende-pretty-lucia-opera-bastille-paris-critique-classiquenewsA l’affiche de l’Opéra Bastille jusqu’au 16 novembre 2016. Attention : lors de votre réservation, veillez à bien vérifier la distribution qui change selon les dates (Pretty Yende chante encore les 23 oct., 4, 8, 16 novembre ; elle est remplacée par Nina Minasyan les 26, 29 oct., 11, 14 nov.).

Approfondir

LIRE aussi notre présentation de cette production de Lucia di Lammermoor à Bastille avec Pretty Yende.

Illustrations : © Sebastien-Mathe

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